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ANNÉE 1897

choix ne broncherait-il pas ? Tant qu’on n’est pas sûr de sa réponse à cela, il y a des chances pour que le sacrifice soit un rebut de nécessité. Tant qu’on ne s’est pas mis en présence de la tentation à son plus haut degré, ce n’est pas « le monde » qu’on sacrifie, mais la mesure dans laquelle il s’est offert qu’on dédaigne.

La belle chose d’abandonner pour Dieu son avenir probable ! la belle chose de faire bon marché de ce qu’on a ! Ce n’est pas au rabais que je veux acquérir mon immortalité et je rougirais qu’un autre, fût-ce un empereur qui abdique, se soit montré plus bel acheteur que moi.

Dimanche 24 octobre.

Depuis quelque temps une chose me frappe : il y a bien des types de beauté morale, il y en a de plus fascinateurs que l’idéal chrétien. J’ai toujours aimé la violence, et l’orgueil est une loi de l’esthétique. Eh bien, Jésus-Christ s’y connaissait mieux. Je n’ai jamais été émue aux larmes, je n’ai souffert de mon infériorité qu’en présence des vertus chrétiennes. Il y a là un degré suprême de sincérité, la simplification de la mort. L’être qui doit mourir dans les humiliations de l’agonie est toujours un peu ridicule à manquer d’attitude chrétienne. Cette douceur et cette humilité, qui ne m’enthousiasment pas, sont inséparables du grand sérieux de l’abnégation.

En lisant, je n’ai jamais pleuré que d’enthousiasme. Une fois pour l’entrée de la grande année à Berlin — l’auteur n’avait aucun talent — une autre, pour une lettre de l’abbé Perreyve, tout ému de sa première confession, de l’hommage et de l’exemple de son pénitent, il venait de confesser le Père Lacordaire ! Je suis allée m’appuyer à la cheminée pour mieux sangloter. Pourquoi ? j’avais quinze ans. Tant d’autres, plus pieux que moi, n’auront pas été émus de ce passage… Ô vérité chrétienne !

Le Père Lacordaire ! Cette parole et cette vie… c’est grâce à leur éloquence que j’ai aimé souffrir à l’heure où il le fallait.