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ANNÉE 1896

Les misères de ce monde révèlent Dieu plus qu’elles ne le nient. Est-ce que la nature aurait cette justesse de visée, cette volonté d’intention, cette suite dans les idées ? Oui, on peut dire tout cela… oratoirement.

Qui me donnera la certitude ? Pas certainement ceux qui y tiennent moins que moi, à qui il suffit de la recevoir d’autrui et de « mettre les deux mains sur leurs yeux pour croire avec la simplicité d'un enfant », son insouciance et sa frivolité.


15 août

Ah ! mes idées de morale aussi sont indépendantes. Ce n’est pas la charité qui se charge de nous développer le sens critique ! Indépendants ? Il faut le courage de l’être puisqu’on nous veut sincères.

Vouloir tout ce qu'on fait, savoir tout ce qu’on veut. Mais les indépendants dégoûtent de l’indépendance. Je suis trop intelligente pour être jamais « une révoltée ». Ah ! ces consciences romantiques, séduites par l'étiquette et fières de « se révolter » avec une banalité écurante.

Brest, 4 novembre 1896.

« Ne désire rien pour toi-même, ne cherche rien, ne te trouble pas et n’envie rien à personne. L’avenir doit te rester inconnu, mais il faut que cet avenir te trouve prête à tout. »

« On s’imagine presque toujours que tout est perdu quand on est jeté hors du chemin battu ; c’est seulement alors qu’apparaissent le vrai et le bon. Tant que dure la vie, le bonheur existe. » (La Guerre et la Paix.)

« Où j'en suis, deux voies : découragement et scepticisme absolus, — foi et vocation passionnée pour tout ce qui arrive. « Personne ne me prend ma vie, je la donne librement. » Avance assez loin dans la première voie, elle m’a assez ôté et n’a plus, je crois rien à m’apprendre. Après tout je veux vivre,