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Les visiteurs de la cathédrale de Strasbourg se souviennent peut-être d’avoir vu, à une tribune étroite de la nef, près du chœur, une figure d’homme accoudé sur la balustrade, contemplant les voûtes du Mûnster : C’est la statue d’Erwin de Steinbach, l’architecte de la cathédrale. C’est l’artiste qui s’est recueilli devant son œuvre. Sa présence est une louange. Virgile avait exigé d’Auguste que ses chants inachevés fussent détruits. Envin de Steinbach a voulu se survivre dans l’ouvrage de ses mains, et le ciseau d’un sculpteur l’a représenté silencieux et pensif.

Il écoute chanter la pierre.

La collection qui va passer en vente est un monument. C’est une oeuvre de longue haleine, et l’architecte de cette œuvre est le témoin joyeux de son éclat.

Libre d’étendre ou de restreindre les limites de ce brillant domaine qu’il nous permet de parcourir, pouvez-vous douter que l’homme d’esprit, de goût et de savoir, n’ait été sévère dans ses choix ?

Laissez faire. Les pierres que vous regardez sont de purs diamants dignes d’être sertis dans l’or le plus fin. Van Goyen, David Teniers, Murillo, Canaletti, Van de Velde, Jordaens, Backuisen, Jules Romain, Luini, Claude Gelée, Fragonard et cent autres se plaignent à moi de ne vous avoir pas dit qu’ils feront cortège, le jour venu, au collectionneur depuis si longtemps leur ami.

Au revoir donc, lecteur, au revoir dans l’Assemblée des dieux.

Ces lignes, rapidement écrites, eurent l’agrément du peintre et de l’expert. Ce double suffrage me valut de voir ma prose prendre place en tête du catalogue de la vente en guise de préface,

Moi qui n’en lis jamais ! — ni vous non plus, je crois ?

La vente eut lieu dans les derniers jours de mars, et je me suis laissé dire que le collectionneur en retira plus de cent mille francs.

Le Salon allait ouvrir. M. Louis-Noël ; un ami de Gigoux, exposa son buste. L’oeuvre était de fière allure, bien que sobre et serrée. Les années commençaient peser sur le front de l’octogénaire. Le sculpteur atténua les rides. Il prit son modèle dans ses bons moments. La virilité robuste du vieux peintre trouva chez M. Louis-Noël un interprète habile et plein de goût.

Le 23 juin, le Salon ayant fermé ses portes, le statuaire me confia qu’il comptait offrir le soir même à Gigoux le buste qu’il venait d’exposer. Il me proposa de l’accompagner. J’acceptai. Je voulus écrire un sonnet pour rehausser l’offre de mon ami. Ce sonnet ne vint pas. En revanche, les strophes qui suivent, achevées en voiture pendant le trajet de la rue de Vaugirard à la rue de Chateaubriand, tinrent lieu du sonnet inutilement cherché.

Nous arrivâmes chez Gigoux à la nuit tombante. L’air était tiède. Notre hôte nous reçut dans son salon ouvrant sur le jardin.