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vicomte d’Arlincourt, de Mmes Lebrun et Récamier, de la duchesse d’Abrantès n’existent plus, nous avons une réelle gratitude au peintre qui rassemblait autour de lui les survivants d’une époque disparue, et les jeunes hommes avides de juste renommée,. Aussi, la maison de Gigoux était-elle populaire auprès de tout un groupe d’artistes et d’écrivains, qui aimaient à en franchir le seuil. Ainsi les pèlerins de Pompeï se donnent rendez-vous à la maison du Poète.

On devine que je ne me fis pas faute, en un pareil milieu, de recueillir les traits saillants des entretiens dont je fus témoin.

Un jour, quelqu’un rappela que Gigoux avait autrefois conseillé à Charles Blanc d’écrire sur ses contemporains. L’auteur de l’Histoire des Peintres avait goûté le conseil de son ami, et nous savons combien de pages achevées, pleines d’imprévu, de faits intimes qui sont autant de témoignages irrécusables, attirent vers ce livre de bonne foi, l’un des derniers que le critique ait écrits, les Artistes de mon temps.

M. Dumesnil s’y est-il pris autrement pour parler de Corot ? Il l’a suivi, surpris dans sa parole, son geste, sa vie privée, son tempérament d’artiste, et son livre est vivant.

J’avais donc, depuis plusieurs années, le projet de révéler au public les causeries d’artistes entendues chez Gigoux. Puis, les travaux commencés, la tâche de chaque jour me faisaient ajourner ce livre.

On diffère ; — la vie à différer se passe !

Mais, au printemps de 1882, l’artiste me proposa de faire mon portrait. J’acceptai et, pendant plusieurs matinées, je vécus de longues heures en tête à tête avec Gigoux.

Vers le même temps, j’ouvris fortuitement un volume de l’Artiste, publié en 1839, dans lequel se trouve une notice anonyme sur le peintre. Thoré est l’auteur de cette notice. Racontant les débuts difficiles de Gigoux, lorsqu’il vint à Paris en 1828, Thoré s’exprime ainsi « Une des puissances de Gigoux, c’est de réunir des hommes autour de lui. Même pendant cette période de douleurs et d’enfantement, Gigoux était déjà un centre. Il avait des amis qu’il soutenait et qu’il dirigeait, lui qui n’était encore qu’un apprenti. Depuis, il a formé de nombreux disciples. »