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de Ville transformée en chapelle ardente, fut d’abord conduit à la basilique de Saint-Jean où eut lieu le service religieux. La ville tout entière voulut accompagner ensuite sa dépouille au cimetière des Chaprais, où le cercueil fut déposé provisoirement dans un caveau que surmonte un Christ monumental, oeuvre de Clésinger père. Les concitoyens de Gigoux lui préparent une sépulture définitive au Champ-Bruley, près de Bersot, dans le voisinage du monument élevé aux soldats morts pour la France en 1870.

Rapprochement heureux. L’artiste aussi est un soldat. Sans doute le territoire national est une chose sacrée dont l’intégrité doit être défendue jusqu’au sang, mais le génie d’un peuple, la phalange compacte de ses maîtres sont-ils à moindre prix que le territoire ? L’homme d’art, gardien de la tradition, hardi et sincère dans l’effort personnel dont il fait preuve, donne un exemple salutaire. Et si, par ailleurs, de lui-même, dans l’élan spontané d’une nature généreuse, il s’approche, les mains ouvertes, de quiconque travaille et s’applique à l’étude des grands ancêtres, ainsi quel Gigoux l’a fait envers ce jeune copiste de Ribera, dont nous a parlé M. Bonnat, cet homme bien inspiré n’est pas seulement un exemple, il est un stimulant et un appui. Notre peintre n’a pas pris rang parmi les plus illustres. Soit. Sa fièvre de production l’a porté à l’exécution trop rapide de ses peintures. Je le concède encore. Mais il a vu grandir autour de lui plusieurs générations d’artistes sans prendre ombrage de tendances, de méthodes nouvelles, qu’il n’avait pas connues et auxquelles peut-être il lui eût coûté de plier son esprit et sa main. Ce désintéressement est rare. Notre peintre s’est vu distancé dans l’estime publique par des hommes venus après lui, et le succès d’autrui l’a trouvé sans amertume. Que dis-je ? sa demeure, ses conseils, sa fortune ont été mis à la disposition de quiconque se réclamait de l’art. Il a doté sa ville d’ouvrages rares et précieux ; il est resté fidèle à toute noble cause ; l’amitié, le travail, l’abnégation patiente et discrète ont été les vertus de toute sa vie. La mémoire de ce fier et vaillant maître doit être honorée.