Page:Jouin - Jean Gigoux, 1895.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Certes, voilà qui est rare. J’ai traversé beaucoup d’ateliers. Ce qu’on y trouve en belle place, en pleine lumière, ce sont ordinairement les œuvres de l’artiste que l’on va voir. Faut-il blâmer cette coutume des peintres et des sculpteurs ? Pourquoi ? Que l’homme d’art se plaise dans le regard fréquent qu’il porte sur ses pensées peintes ou modelées-, cela peut lui être profitable. Si son œil est subtil et fin, si son esprit est indépendant, il devient à lui-même son critique. Qui donc jugera mieux l’œuvre que l’ouvrier ? Au reste, cet entourage de toiles ou de statues peuplant l’atelier du maître qui les a produites, est un enseignement pour le visiteur. Elles complètent l’homme. Elles attestent son activité. Elles portent témoignage de son génie.

Cependant, on peut mieux faire encore. J’en appelle aux amis de Gigoux. L’art, comme les lettres, a ses classiques. La peinture a ses dieux. Ce sont eux que l’on doit mettre à proximité de l’œil et de la main, si vraiment on est soi-même épris du divin. L’homme de pensée qui aspire à être créateur ne veut voir dans les choses créées que celles qui se rapprochent de l’infini. La nature ne se révèle complètement à nous que quand nous l’observons des sommets. Seuls, les grands maîtres murmurent à l’âme du peintre l’éternel Excelsior.

Toutes ces toiles disposées sur les murs de la maison de Gigoux y sont en leur lieu. Ce sont comme les titres des ancêtres soigneusement recueillis par un descendant. La vue constante de ces pages n’a point lassé l’artiste ; elle ne l’a pas davantage découragé. Combien de peintres de nos jours vivent dans cette atmosphère ? Combien qui, ne pouvant acquérir des tableaux, savent jouir du trésor commun qui est au Louvre ? Combien parmi les favorisés de la fortune se sont fait une galerie ? Ils ne sont pas nombreux. On cite M. Bonnat. N’était-il pas au premier rang des amis de Gigoux ?

C’est donc une haute faveur de se trouver inopinément dans la maison d’un artiste, toute remplie d’œuvres de grand style, à l’aspect durable, parmi des toiles éclatantes et souveraines. L’œil et l’esprit se retrempent dans cette saine vision. Le cadre nous étant connu, parlons de l’homme.

Il était de taille moyenne. Les épaules bien dessinées disaient la