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Je suis bien aise de vous dire que je ne pourrai vous admirer a mon aise, et vous estimer tant qu’il me plaira, que lorsque j’aurai vu en vous le plus beau de tous les courages , le courage d’étre heureux.

Il faudrait, pour y atteindre, avoir d’abord le courage de vous soigner, le désir de vous bien porter, et la volonté de guérir.

Je ne vous en croirai capable que lorsque vous aurez bien perdu votre belle fantaisie de mourir, en courant la poste , dans quelque auberge de village. Vous voyez que, dans ma colere méme, je suis capable de bons pro- cédés , puisque je n’ai rien dit de ce bel article dans ma lettre d’hier a madame de Sérilly, dont je savais d’avance l’opinion tres-opposée a votre gout.

Je n’ai pas voulu laisser venir cet énorme grief au bout de ma plume; mais je l’ai gardé sur le cœur.

Tout cela, Madame, est extrêmement sérieux, et, pour l’honneur de l’esprit, de la raison , de l’humanité et de la vertu , je vous conjure , des que vous serez ’arrivée a Paris , do consulter d’abord un bon médecin , et de faire ce qu’il vous dira. Vous n’avez pas seulement besoin de régime et de tranquillité; vous avez besoin de remèdes. Votre docteur de Sens est honnête homme et beau joueur, a ce qu’on dit; mais c’est un pauvre guérisseur.

Je suis payé pour vous désirer de la santé, puisque je vous ai vue; j’en connais l’importance, puisque je n’en ai pas. Un événement de ma vie m’a trop appris combien l'insouciance sur ce point peut devenir funeste, pour que je transige avec la votre.

Enfin, Madame, je suis tourmenté depuis trois mois de l'inquiétude que vous me causez à cet égard, à un