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ABANDONNÉE

son lit où se voyaient de ravissantes miniatures représentant les comtesses de Peilrac, l’une avec les cheveux déjà poudrés par l’âge, l’autre dans sa radieuse jeunesse.

Agenouillée sur le prie-Dieu placé devant ces portraits richement encadrés. Mireille, les mains jointes, les regardait de toute son âme.

— Comme elle avait l’air bon, grand’mère, et comme maman était jolie ! dit-elle avec admiration.

— Tu ne te souviens pas d’elles, ma chérie ? Rappelle bien tes souvenirs. Elles étaient si bonnes, si tendres pour loi !… Nous habitions un grand château, avec un immense jardin, qu’une rivière traversait, ajouta-t-il en frissonnant. C’est là que tu te promenais avec ton aïeule, quand on est venu t’arracher à sa tendresse, à la nôtre…

Les yeux de l’enfant s’effarèrent en se fixant sur son père, puis elle les reporta sur les miniatures en murmurant :

— Non !… Non !… Je ne vois rien.

Le comte ne voulut pas insister, craignant de terrifier ce frêle organisme.

— Je trouve que maman Paule ressemble à mère, dit Mireille après un silence. Elle a ses yeux bleus et ses beaux cheveux d’or, et cet air si doux, si doux !…

À ces paroles très vraies, Roger comprit quelle sympathie l’attirait vers la jeune femme. Non seulement il y avait le souvenir de ses bienfaits envers Mireille, mais aussi celui de la chère disparue qu’elle lui rappelait.

Il s’attendrit en songeant à cette coïncidence étrange qui plaçait la petite fille entre les bras de celle qui avait le regard et le cœur de sa mère.

— Viens maintenant visiter le jardin, dit-il, voulant surmonter cette émotion.

Il la mena à travers les allées ombragées par des arbres toujours verts. Avec les chrysanthèmes et les dernières roses ornant encore les massifs, les chants des rouges-gorges dans les tuyas, ce jardin avait un air plutôt printanier sous ce pâle soleil de décembre.

M. de Peilrac conduisit ensuite Mireille jusqu’aux remises où de confortables voitures étaient renfermées, et aux écuries pour admirer les beaux chevaux, surtout le mignon petit poney d’Irlande qu’il lui destinait. Il était noir comme la nuit, ses grands yeux de gazelle avaient une douceur infinie.

— Qu’il est joli ! s’écriait la fillette folle de joie. Ah ! père, que je te remercie ! J’aurai tant de plaisir à monter ce charmant cheval !

— Après le déjeuner je te le procurerai, ma mignonne. Nous ferons une petite promenade dans la grande avenue, afin de t’aguerrir avant d’aller sur la route.

Et l’enfant mangea à peine tellement elle avait hâte de prendre sa première leçon. Bien assise sur sa selle fourchue, son petit pied posé dans l’étrier, elle prit les guides d’une main ferme, et se tint fièrement sur le poney qui hennissait de plaisir sous sa charge légère.

— Il me berce aussi bien que le hamac aux Magnolias ! disait-elle. Allons, Fellow, un petit temps de galop !

L’heureuse journée pour le père et la fille !

Lorsque, vers 4 heures, Yvonne vint la chercher pour la mener à Montscorff, elle eut un petit air attristé qui ravit le cœur de Roger.

— Déjà !… fit-elle.

— Je vais faire atteler et je te reconduirai moi-même, chérie, dit-il.

La voiture fut bientôt prête et le court trajet bien vite parcouru.

Le comte, craignant d’abuser, ne voulut pas entrer au château, malgré l’invitation de Mlle Irène ; il pria ces dames de venir le lendemain visiter son logis.

— Tu verras comme tout est joli, maman ! s’écria Mireille avec admiration.

Et devant l’insistance de l’enfant aimée à lui donner ce nom, Paule eut un tel éclair de joie dans le regard, que M. de Peilrac se jura bien de laisser sa fille la nommer toujours ainsi. N’avait-elle pas pendant ces mois douloureux rempli le devoir d’une mère envers elle !

Le lendemain Mlles de Montscorff montaient en voiture dès le déjeuner, avec Mireille qui jasait comme une petite fauvette.

— Je veux monter sur Fellow devant toi, maman, disait-elle ; tu verras comme je me tiens bien à cheval !

— Dis-moi mère lorsque nous serons seules, mignonne, interrompit vivement Paule, mais pas devant ton père, il pourrait s’en froisser.

— Non, non, rassure-toi ! Je lui ai parlé de cela hier, et il m’a répondu qu’on était plus heureux d’avoir un papa et une maman. Ainsi tu vois bien que je puis continuer.

La jeune femme sentit son front se couvrir d’une légère teinte rose, et pour la dissimuler, elle feignit d’indiquer un coin de paysage. La sœur aînée la regardait, et ses yeux errèrent ensuite, rêveurs, sur la petite ville qui se montrait sous ses beaux arbres.

Elles descendirent devant la maison bien modeste où s’abritait le comte de Peilrac, et Paule se sentit encore tout émue en songeant que c’était pour ne pas lui enlever sa Mireille trop hâtivement qu’il consentait à cet exil.

Elles admirèrent avec quelle entente Roger avait transformé ce simple intérieur.

Dans le grand salon, à la place d’honneur, se dressait une superbe peinture représentant un magnifique portrait de femme. C’était la comtesse Marie, en vaporeuse toilette blanche, lui découvrant légèrement le col ; à l’un de ses beaux bras, sortant d’un fouillis de dentelle, pendait son grand chapeau de jardin, et sa tête, idéalement belle, se détachait sur un fond de ramure.

— C’est mère ! dit Mireille, en voyant les yeux de Paule s’y arrêter. Ne trouves-tu pas que tes yeux et tes cheveux ressemblent aux siens, maman ?

La jeune femme, un peu confuse, ne savait que répondre, quand le comte ajouta :

— La mère de Mireille était blonde comme vous, Mademoiselle, cela explique tout.

Et l’on passa dans la salle à manger où un goûter succulent était servi.

— Vous ne vous déplaisez pas trop à Pont-Scorff, comte ? interrogea Mlle Irène.

— Puis-je me déplaire, même dans ce logis d’emprunt, quand ma fille en est à quelques kilomètres, Mademoiselle ! J’emploierai mes heures de solitude par le travail littéraire. J’ai