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ABANDONNÉE

dit-il, c’est vous dire que ma mission s’est terminée à notre entière satisfaction. Bonjour, petite, ajouta-t-il en se penchant vers Mireille qui le regardait à travers ses longues boucles brunes. Tu es attendue là-bas, et tu seras reçue comme une infante, ma jolie Espagnole. Ne trouvez-vous pas qu’elle en a bien le type, ma chère enfant ?

— Oui, en effet, dit la jeune femme qui se pressait, un peu fiévreuse, à la pensée de laisser Mireille chez des inconnues, et surtout si loin d’elle. Elle le serait que cela ne m’étonnerait pas, reprit-elle ; à son arrivée, elle a prononcé quelques mots dans une langue étrangère.

— Pourquoi ne m’en avez-vous jamais parlé ?

— Je n’y ai pas attaché d’importance.

Le médecin hocha la tête et ne répondit pas.

Elles s’installèrent enfin dans le cabriolet : la fillette, bien enveloppée dans sa mante à Capuchon, était assise sur les genoux de sa mère adoptive, sa chère poupée entre les bras. La capote du véhicule fut relevée, afin de préserver les voyageuses de l’air toujours vif du matin.

Le docteur monta à son tour, et le cheval partit de son trot allongé sur la route du nouveau gîte de la petite épave humaine qu’un bon vent avait heureusement portée vers de nobles cœurs.

Lorsque l’avenue des magnolias traversée, le château se dressa, souriant, avec ses balcons enguirlandés de glycines et de jasmins, les corbeilles de fleurs de ses pelouses, les perles scintillantes du jet d’eau, retombant avec un joli bruit dans le bassin de marbre blanc, Mireille, qui depuis un moment regardait curieusement au dehors, fit un mouvement surpris, et dans son regard se montra la sensation du déjà vu. Il lui semblait, en effet, revenir dans des lieux connus, aimés, et ce fut avec une joie non contenue qu’elle tendit les bras à Paule qui, la première, s’était élancée vers la voiture.

— Qu’elle est jolie, qu’elle est mignonne ! s’écriait-elle, en la baisant sur ses boucles, un peu ébouriffées par le capuchon enlevé hâtivement. Nous la guérirons, soyez-en certaine, Madame.

Et sa belle main de patricienne se tendit vers celle de la modeste femme du contremaître. La sainte vertu de charité réunissait une fois de plus des personnes de conditions très différentes, mais dont les cœurs étaient unis dans un sentiment de pareille noblesse : le secours au malheur.

Mlle Irène attendait sous la marquise du perron.

Nullement intimidée maintenant que des doigts amis avaient serré les siens, Louise monta les marches nombreuses en granit rose, et salua la châtelaine. Le docteur et Paule, portant toujours l’enfant, la suivaient en causant.

— Soyez la bienvenue, Madame, lui dit l’aînée des Montscorff. Nous nous associons pleinement à votre bonne œuvre. Espérons que nos communs efforts redonneront la santé à cette pauvre victime des méchants.

— Espérons-le, Mademoiselle.

— Elle est vraiment charmante, reprit-elle, sa douce physionomie nous assure qu’elle sera une petite malade très facile à soigner.

— Elle est très raisonnable et bien aimante, répondit Mme Kerlan.

On était entré dans la salle à manger où, selon les habitudes hospitalières du domaine, des rafraîchissements avaient été servis.

Paule déposa l’enfant dans un grand fauteuil, et, s’agenouillant près d’elle, lui défit sa mante. Mireille apparut toute mignonne dans cette robe d’un bleu pâle, agrémentée de broderies blanches, travail délicat de la pauvre Juana pour embellir celle qu’elle aimait tant. Elle souriait doucement à ces quatre personnes qui l’entouraient vraiment comme si elle avait été la petite reine dont parlait M. Conlau.

— Maintenant que vous l’avez bien examinée, dit le docteur, il serait prudent de la coucher. On lui fera prendre une tasse de lait, et le sommeil viendra réparer les fatigues de la route.

Les yeux de l’enfant se fermaient en effet sous la lassitude provoquée par la brise de la pleine nature.

Mme Kerlan la prit dans ses bras, et suivit Paule qui lui montrait la route. En entrant dans cette chambre spacieuse, aux meubles charmants, aux tentures soyeuses, dont les larges fenêtres donnaient sur un jardin ensoleillé et abrité, la jeune femme comprit combien elle lui serait plus hospitalière que la sienne, déjà bien encombrée.

Un grand lit bas, adossé aux draperies azurées du mur, s’avançait jusqu’au milieu de la pièce, permettant à l’air de circuler librement autour. Sous le piqué en soie bleue, sur lequel le drap rabattait son écusson brodé, la petite fille fut étendue par sa mère adoptive, aidée de Paule, qui semblait charmée de ce rôle maternel. Et bientôt, après avoir bu avec avidité une pleine tasse de lait, elle s’endormait, paisible.

— Voyez que la campagne agit déjà sur cet organisme ébranlé, fit le docteur. Dans quelques jours nous la verrons debout.

Louise baisa la petite main qui s’étendait si frêle sur la couverture, et se relevant :

— Je vais la quitter maintenant, dit-elle, j’ai hâte de me retrouver près de mes enfants ; puis elle pourrait peut-être avoir de la peine de mon départ si j’attendais son réveil.

— Oui, dit Mlle Irène, nous devons lui éviter toutes secousses violentes. Vous reviendrez, Madame Kerlan ! ajouta-t-elle en tendant la main à la jeune femme.

— Pas avant dimanche ! fit-elle tristement. Je ne puis m’absenter les autres jours.

— Vous serez toujours la bien accueillie, dit Paule et croyez que nous nous efforcerons de vous remplacer près de Mireille.

— Vous le ferez, et avec avantage, Mademoiselle ; je ne pouvais, moi, que lui faire partager ma médiocrité !

— Où les soins tendres et éclairés ne lui ont pas manqué, dit le médecin. Croyez bien, ma chère enfant, que je ne vous l’aurais pas enlevée si sa santé n’avait pas été en jeu.

Après un dernier regard à celle qu’elle avait sauvée de l’abandon, Mme Kerlan suivit le docteur, et ils rejoignirent la voiture, accompagnés par les deux sœurs, qui protestèrent encore de tout leur dévouement pour la petite malade. Et c’est le cœur allégé que l’excellente femme