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LE BORDEREAU


que sa succession est comme ouverte ? S’il prend sur lui seul la responsabilité de déchaîner cet énorme scandale, sans autre preuve que le bordereau, il risque d’être désavoué par le ministère, brisé par le Président de la République. Et s’il résiste au torrent fou de son entourage, si le gouvernement refuse de s’engager à la légère dans une telle aventure, c’est tout l’État-Major qui va s’insurger contre lui, le dénoncer peut-être, par quelque perfide indiscrétion de presse, comme le protecteur d’un traître avéré, du riche officier juif, lui, le mari de l’Anglaise et le persécuteur de Turpin !

Qui saura jamais quel fut le conflit dans le cerveau de cet homme, à quels conseillers il s’adressa, sous quelles pressions il se détermina ? Seul, un grand poète pourrait recréer cette tempête.

L’historien ne peut que relater les faits d’où résulte le plan, savamment combiné, d’avertir le gouvernement de façon incomplète, assez toutefois pour l’engager dans l’engrenage ; puis, brusquement, par un impunissable coup d’audace, de le mettre en présence du fait accompli.

Ainsi seront ménagés tous les intérêts de Mercier. Il donne satisfaction à l’État-Major, il empêche tout désaveu de ses collègues.

Pour Dreyfus, Mercier est certain qu’il est coupable. Je dois croire qu’il en est certain. S’il ne l’est pas, il faut reviser la parole du grand tragique « qu’il n’y a point de scélérat parfait ».

XIV

Mercier suit méthodiquement son plan.

Le 9 octobre, au conseil des ministres, il demande à Guérin, garde des Sceaux, suivant ainsi le conseil de