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LA CHUTE DE MERCIER


des entrevues de Dreyfus et sa femme[1]. » Et encore : « Non, il ne faut pas qu’elle naisse cette légende de l’innocence, c’est-à-dire de la condamnation morale d’officiers qui représentaient l’armée tout entière[2] ! »

Je cherche en vain les noms, les articles des mauvais citoyens qui se sont rendus coupables de ce crime nouveau : le Doute. Nul n’a poussé l’audace jusqu’à confier ses angoisses au papier ; quelques-uns seulement en ont causé, à mi-voix. Mais la tentation leur pourrait venir d’épancher leurs cœurs trop pleins, trop lourds. De là, contre l’éventuelle campagne du doute, cette campagne d’intimidation. La peur d’être dénoncés comme des complices du traître, vendus aux juifs, arrêtera ces téméraires. Il y a une terreur pire que celle de la guillotine : c’est celle de l’égout.

Cependant, un homme a parlé, un seul, et celui dont la parole inspire le plus de crainte, parce qu’il connaît le dossier. Le jour même de la parade d’exécution, un journaliste a interrogé Demange ; il a répondu : « Le capitaine Dreyfus, puisqu’il est condamné, est coupable aux yeux de tous. Je m’incline devant l’arrêt. Mais à part moi, dans mon for intérieur, je demeure persuadé de la façon la plus absolue de son innocence ; ma conviction n’est pas changée[3]. » Ces paroles, il les répète partout, dans les couloirs du Palais de Justice, à Dupuy lui-même[4].

Et cela doit cesser. Sur un autre mot d’ordre, la presse dénonce Demange comme l’instigateur payé de ces coupables manœuvres. Ce droit sacré de la défense qui ne s’arrête pas à la sentence, le journal d’Édouard Hervé

  1. Soleil du 9 janvier 1895.
  2. Ibid.
  3. Journal du 6.
  4. Le 11 janvier.