Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/548

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
526
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

C’était, en outre, méconnaître l’appel direct, personnel de l’empereur Guillaume à Casimir-Perier.

Celui-ci ne récrimina pas, et, d’une claire vue des choses, décida qu’il recevrait, dès le lendemain, l’ambassadeur d’Allemagne[1]. Il lui dirait la vérité sans détours, « seule explication qui fût digne de celui qui parlait au nom de la France[2] ».

Mais quelle est la vérité ? Il l’ignore. Il réclame sur l’heure les dossiers qui le peuvent éclairer, celui du ministère des Affaires étrangères et celui du ministère de la Guerre[3].

Mercier venait d’être saisi de cette demande et informé de la dépêche allemande, quand Boisdeffre se présenta à son cabinet, avec Picquart, pour l’entretenir des prétendus aveux de Dreyfus. Les journaux du soir les annonçaient ; ceux du lendemain en seraient remplis.

La légende, qu’elle soit née de propos déformés ou d’une manœuvre d’Henry, aggrave d’un terrible embarras la situation[4]. Elle attribue à Dreyfus l’aveu qu’il a livré des documents à l’Allemagne, mais pour la tromper. Si l’aveu a été fait, il en résulte que l’ambassade d’Allemagne est prise en flagrante imposture par son espion même. L’espion a trahi à la fois l’Allemagne et la France.

  1. Rennes, I, 62, Casimir-Perier.
  2. Ibid., 66.
  3. Ibid., 65.
  4. C’est ce dont Mercier lui-même convient expressément à Rennes. Après avoir accusé Casimir-Perier et Dupuy « d’avoir voulu à toute force étouffer ces aveux où le nom de l’Allemagne était prononcé », il ajoute : « Je dois reconnaître que ces aveux, à ce moment-là, tout en donnant une satisfaction morale à ceux qui les entendaient, comme le Président de la République, n’avaient aucune utilité ni extérieure, ni intérieure. À l’extérieur, ils pouvaient nous créer de très graves difficultés. » (Rennes, I, 104.)