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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


au milieu de difficultés redoutables, s’engagerait la lutte de la vérité contre l’axiome de la chose jugée : res judicata pro veritate… « Habetur, interrompit Dupuy, non est. »

Le 2 janvier, au matin, Forzinetti avertit Dreyfus qu’il recevrait dans l’après-midi la visite de sa femme : « J’espère te voir tout à l’heure et puiser des forces dans tes yeux. Soutenons-nous mutuellement envers et contre tous. Il me faut ton amour pour vivre ; sans cela le grand ressort serait cassé. »

Il compte les heures, les minutes, dans l’attente de la voir : « Mon cœur bat à se rompre. Tu n’es pas encore là, les secondes me paraissent des heures. Mon oreille est tendue pour écouter si quelqu’un vient me chercher. Je n’entends rien, j’attends toujours. »

Enfin, un gardien l’avertit, l’emmène au parloir de la prison. Ses jambes tremblaient en descendant ; il se roidissait « pour ne pas tomber par terre d’émotion ».

Ces deux malheureux êtres ne se virent qu’à travers une double grille treillagée, en présence de Forzinetti et de son agent principal. Forzinetti dut soutenir Lucie Dreyfus qui défaillait.

Elle eût voulu embrasser son mari, le serrer dans ses bras. Ils ne purent se parler qu’à distance, dans le parloir sombre, froid, une véritable glacière[1]. Il chercha à lire dans le visage de sa femme « les traces qu’y avaient laissées la souffrance et la douleur ». Il y lut la foi absolue, l’infini de l’amour.

À bout de forces, il abrégea cette entrevue trop cruelle. Il se sauva, « ayant besoin d’aller se cacher pour pleurer un peu ». Il lui en fait aussitôt l’aveu : « Ne

  1. Cass., I, 321 Forzinetti ; Lettres d’un innocent, p. 49 et suiv.