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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


discouraient : « Pas de milieu, la mort ou l’acquittement. » Des bruits fantaisistes couraient : Demange allait renoncer à la défense qui n’était pas libre ; Maurel avait menacé l’avocat de le faire arrêter.

Le réquisitoire avait paru à Lépine « vide de faits[1] » ; il ne l’écouta pas jusqu’au bout. L’inquiétude de Picquart croissait devant une telle absence de preuves. Et Dreyfus, dans sa cellule, pensait y coucher pour la dernière nuit, parce qu’il raisonnait de l’affaire en logicien. Que pèserait, dans des consciences droites, la déposition d’Henry ? Elle était terrible, mais « accuser un officier à la barre, sans apporter aucune preuve, c’est monstrueux[2] ». Tous les témoignages s’accordaient à reconnaître qu’il montrait volontiers ses connaissances. « Sont-ce là les allures d’un espion qui sait trop bien ce qu’il risque[3] ? »

Il écrivait encore à Demange : « Combien de fois ai-je pensé au suicide ! Combien de fois ai-je pensé qu’il me serait plus doux de mourir que de supporter ce martyre épouvantable ! J’ai vécu pour mon honneur ; mon âme a résisté à cette violente tentation pour l’honneur de mes enfants. Mon nom ne m’appartient pas à moi seul ; il appartient à ma femme, à mes enfants : c’est pour ce nom que j’ai voulu vivre. »

Il s’endormit, se voyant, le lendemain, au milieu d’eux.

Le lendemain matin, il dit à Forzinetti : « Aujourd’hui j’embrasserai les miens[4]. »

  1. Cass., II, 10, Lépine. Cependant, « sur la question du bordereau, son siège était fait » ; et, de même, croyait-il, « celui des juges. »
  2. Cass., III, 608, notes de Dreyfus, remises par lui, à l’audience, à Demange.
  3. Ibid.
  4. Cass., I, 321, Forzinetti.