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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Les agents donnaient des références à leurs employeurs allemands ; ils ne pouvaient tenir leurs informations que d’officiers ou de fonctionnaires qui trahissaient. Ils les nommaient[1]. Ainsi, pour inspirer confiance, un seul moyen : convaincre l’État-major allemand que la trahison fleurit dans l’armée française[2]. Ces agents doubles étaient toujours amplement pourvus, tandis que les simples espions prussiens ne trouvaient pas grand’chose. Sandherr en conclut que ceux-ci étaient négligés pour ceux-là, dont il augmenta le nombre. Il se flattait, dès lors, d’être devenu le recruteur de l’espionnage allemand et d’avoir gavé, pendant des années, le grand État-major impérial de faux renseignements, acceptés sans contrôle[3]. Boisdeffre, successeur de Miribel à l’État-major, était si fier de Lajoux qu’après la conclusion de l’alliance russe, il le prêta au général Gourko. Lajoux alla à Varsovie, fut fêté par les Russes et leur enseigna ses procédés.

Mais Cuers avait-il été longtemps, ou même, à aucun moment, la dupe de Lajoux ? Celui-ci en doute. Lajoux sut par Cuers les noms de quelques véritables espions, qui furent pris et condamnés[4]. Pourtant, Lajoux n’est pas certain que Cuers ne les ait pas livrés, par ordre, pour s’assurer s’ils n’étaient pas, eux aussi, des contre-espions. Cuers se disait « le Napoléon des espions ».

L’âme allemande n’est plus naïve ; l’âme prussienne

  1. Rennes, II, 509, Cordier.
  2. Ibid., 506.
  3. Ibid, 507.
  4. Rennes, II, 11, Rollin. — Le commandant Rollin les nomme : Schneider, Theisen, Cunche, le lieutenant Bonnet. Lajoux donna les noms de Bonnet et de Schneider ; il sut également de Cuers les noms d’espions allemands en Russie, à Varsovie, et les signala au général Gourko. (L’espionnage franco-allemand, ch. VI.)