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défaite ; une légende ridicule attribuait les victoires de la Prusse à ses espions. Les nouveaux états-majors voulurent suivre l’exemple de l’Allemagne. Le général de Miribel, notamment, avait développé l’organisme ébauché par ses prédécesseurs.

Le contre-espionnage était le principal rouage de son système. Ses collaborateurs dans ce service, dit officiellement « de statistique », le colonel Sandherr et le lieutenant-colonel Cordier, en attendaient, en cas de guerre, de grands résultats[1].

Ils avaient installé, à Bruxelles, un agent du nom de Lajoux, qui, s’étant lié d’amitié avec un agent allemand, Richard Cuers, avait feint de se laisser embaucher par lui et lui livrait toutes sortes de documents frelatés[2]. Un autre agent, Corninge, avait été engagé pour jouer, auprès de l’attaché militaire d’Italie à Paris, le rôle de « pseudo-courtier en espionnage[3]». Une véritable usine de faux fonctionnait en conséquence à l’État-major. Des officiers fabriquaient, avec le plus grand soin, de faux états militaires, de faux horaires, de faux plans de mobilisation. Une armoire en était pleine. La comptabilité en était tenue exactement, vu la nécessité de faire concorder le faux renseignement d’hier avec le faux d’aujourd’hui ou de demain[4]. On fabriqua aussi des cartouches et des armes de fantaisie.

  1. Rennes, II, 507, Cordier.
  2. Rennes, II, 506, Cordier ; II, 10, Rollin ; II, 27, Gonse. — L’espionnage franco-allemand, dans le Soir de Bruxelles, (juin–juillet 1900), série d’articles inspirés, sinon écrits, par Lajoux, suspects, à cause de l’auteur, mais intéressants.
  3. Rennes, III, 160, Corninge ; III, 164, Picquart ; III, 166, Lauth.
  4. Rennes, I, 85, Mercier ; II, 509, Cordier. — Quand Picquart prit, en 1895, la direction du service, Henry lui demanda ce qu’il entendait faire d’une énorme liasse de fausses pièces sur la mobilisation.