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MERCIER


improbable, mais combien heureuse, où les rancunes des intérêts particuliers déçus auraient été emportées dans un irrésistible courant d’estime pour le haut magistrat soucieux exclusivement de l’intérêt général ! Grande et féconde leçon ! Casimir-Perier y songea, puis se borna à réunir le conseil[1], à s’y plaindre en termes irrités, à arracher à Mercier une modification insuffisante de sa circulaire, le maintien sous les drapeaux du tiers des hommes dont le licenciement avait été annoncé[2].

Cela ajouta seulement au désarroi de l’armée et de l’opinion. L’appauvrissement des effectifs resta un danger grave, à peine atténué ; ces soldats, qui s’apprêtaient à partir, brusquement retenus, devinrent autant de mécontents ; les esprits attentifs s’inquiétèrent de l’incohérence du haut commandement ; le pouvoir présidentiel sortait affaibli de cette inconvenance impunie ; enfin, Mercier, blessé dans son orgueil, humilié, mais point frappé, c’est l’ennemi dans la place, un ennemi plus aigri, guettant l’occasion de reprendre la popularité qu’il a cru ressaisir et qui lui échappe.

VII

Ainsi, en ce mois de septembre 1894, il n’y avait pas encore un an que Mercier était ministre et son étoile s’éteignait si vite qu’on avait oublié qu’elle eût jamais

  1. 5 août 1894.
  2. L’ajournement au 20 avril 1895 du renvoi de vingt-quatre mille hommes sur soixante mille fut annoncé le 10 septembre ; le 28 décembre, à la suite des débats devant la Chambre, une troisième circulaire maintiendra ces hommes jusqu’à l’expiration normale de leur service.
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