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L’INSTRUCTION


est convié, car il est l’ami de Bodson » ; « une femme Dida, aussi plus âgée que lui, mariée, fort riche, qui a la réputation de payer ses amants, et qui fut assassinée par Wladimiroff, scandaleuse affaire, où il fut cité comme témoin » ; — et D’Ormescheville sait le rôle chevaleresque de Dreyfus dans ce drame ; — « une femme Déry, galante quoique déjà âgée, et qui figure en outre, depuis plusieurs années, sur la liste des personnes suspectes d’espionnage » ; — autre mensonge ; — d’autres femmes mariées, à Bourges, à Paris ; à une femme Cron, qu’il a rencontrée au concours hippique, et qui lui écrivait une lettre se terminant par ces mots : « À la vie, à la mort ! »

C’est la page la plus sale qu’un officier ait signée.

Et, du même style, Prudhomme de caserne soufflé par Basile, D’Ormescheville raconte sa propre expérience de Dreyfus pendant l’instruction judiciaire : « Quand il hasardait une affirmation, il s’empressait de l’atténuer par des phrases vagues ou embrouillées. » — On les a lues, d’après le compte-rendu signé du juge lui-même. — « Il essayait de questionner ou d’engager la conversation, sans être d’ailleurs invité à formuler une réponse… Système qui aurait pu avoir des conséquences fâcheuses pour la forme même de l’interrogatoire, étant donnée son habileté… Toutes les fois qu’il se sent serré de près, il s’en tire, sans trop de difficultés, grâce à la souplesse de son esprit. »

C’est le langage même des procureurs du Saint-Office : « On entendait, raconte un historien, des vétérans de l’Inquisition se plaindre de la duplicité de leurs victimes, dénoncer leur astuce, leurs efforts parfois heureux pour ne point s’accuser elles-mêmes[1] ».

  1. Lea, Histoire de l’Inquisition, I, 463.