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L’INSTRUCTION


de cette lettre ; ce n’est certainement pas tout seul, avec mon cerveau, que je puis déchiffrer cette affaire. Mais, je donnerais volontiers toute ma fortune et toute ma vie à découvrir le misérable, auteur de cette lettre. Est-ce un faussaire ? est-ce autre chose ? ce n’est pas moi qui peux résoudre cette énigme »[1].

Qui donc, entre les quatre murs de sa prison, un mois avant la réunion du Conseil de guerre, dans l’absolu secret, l’avait avisé du travail de Bertillon ?

Bertillon ne rédigea pas ses nouvelles découvertes ; il les raconta, en réservant pour l’audience la révélation déconcertante, et il traduisit le système général de défense qu’il attribuait à Dreyfus dans un diagramme dont il se promettait merveilles.

Au centre du dessin, « l’arsenal de l’espion habituel a été élevé spécialement en vue de desservir les ouvrages de droite, mais il peut néanmoins prêter aux ouvrages de gauche une aide, souvent plus nuisible qu’utile ». Cet arsenal est bondé d’armes redoutables : « grilles et sous-graphiques qui en résultent, répétitions inutiles de mots, imperfections et incorrections graphiques, bizarrerie de style, laconisme combiné avec prolixité. » À droite, un couloir conduit de l’arsenal à la « citadelle des rébus graphiques ». Ce couloir, c’est la « voie tortueuse et souterraine, reliant les différents trucs entre eux » ; au dernier moment, il permettra à l’espion de « regagner la citadelle des rébus ». La citadelle a une batterie avancée ; c’est la « batterie des doubles s, le

  1. Dernier interrogatoire, in fine. J’ai déjà montré que le mot de Dreyfus, rapporté par Du Paty à Bertillon et base de tout le système de l’auto-forgerie : « On m’a volé mon écriture ! » était antérieur à l’interrogatoire du 29 octobre où l’accusé connut le bordereau. Dreyfus supposait alors que les documents qu’on lui attribuait avaient été fabriqués avec des fragments de son écriture.