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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Ils avouèrent ainsi, une fois de plus, leur peur que l’opinion prononçât en connaissance de cause, collaborât, comme un immense jury, avec les Chambres réunies. Pourtant, ils donnèrent, eux aussi, quelque chose de l’enquête à leurs lecteurs, mais tronquant tant qu’ils pouvaient, furieux et comiques, également meurtris dans leurs intérêts de boutique et dans leur entreprise de patriotisme. Cornély les raillait sans merci : « Avons-nous été achetés ou avons-nous acheté ? Sommes-nous payés ou payons-nous ? » Et, pour donner à croire que le dossier venait de très haut : « Nous ne tenons le dossier ni d’un magistrat ni d’un avocat, et il ne nous a pas coûté un sou[1]. »

Ce fut comme une immense explosion de lumière. Beaucoup d’incidents étaient déjà connus, mais les cerveaux surmenés les avaient laissé filtrer, et ils paraissaient nouveaux ; l’histoire commença à s’esquisser. L’innocence de Dreyfus n’éclatait pas seulement dans les témoignages à décharge. Les cinq anciens ministres et Boisdeffre qui refusaient de répondre sur la communication secrète ; Cuignet, avec son dossier en trois compartiments, dont un pour les faux ; Du Paty, le premier juge de Dreyfus, « traîné dans le ruisseau » par les nouveaux porte-paroles de l’État-Major, — ce qui rendait inutile, selon Drumont, « l’héroïque sacrifice d’Henry[2] » ; — le carnet disparu de Lebrun-Renaud et le papier pelure d’Esterhazy retrouvé ; Roget, qui n’avait été mêlé en rien au procès de 1894, le refaisant sur des hypothèses et mettant en miettes le réquisitoire de d’Ormescheville ; Dupuy se lavant les mains de tout

    dans la Chambre criminelle les meneurs de la campagne. » Libre Parole : « Une canaille en hermine a trahi… » Etc.

  1. Figaro du 2 avril 1899.
  2. Libre Parole du 30.