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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


une opinion personnelle sur l’accusation », il déclina de répondre, parce qu’il ne connaissait pas assez « le dossier et les faits ». — Le mot, le petit mot, qui, venant de lui, en raison même de ce que ses amis appelaient sa sagesse, eût été d’un si grand poids, il refusa de le dire[1].

Le plus intelligent des hommes sans caractère, il y avait longtemps qu’il avait renoncé à sa propre estime, l’avait sacrifiée à sa fortune.

La légende des aveux occupa une audience que Jouaust présida avec plus d’incohérence encore qu’à l’ordinaire, dur avec Lebrun-Renaud, plus dur encore avec Forzinetti (pour son récit de la captivité de Dreyfus), et plein d’égards pour les officiers, Anthoine, Guérin, de Mitry, qui ne savaient rien que par ouï-dire. Lebrun, lourd, épais, penaud, portant sa mauvaise action sur un front de brute alcoolisée, s’en tint à l’exacte limite du mensonge qu’il s’était précédemment fixée. Dès que Jouaust fit mine de le presser, le cœur lui manqua : « L’impression qui est restée pour vous a-t-elle été celle d’un aveu ? — Je n’ai aucune impression là-dessus. Je ne veux pas donner d’opinion. Je ne juge pas la chose. » Demange : « Comment conciliez-vous ces deux phrases : Je suis innocent, et j’ai livré des documents ? — Je n’ai

  1. Rennes, II, 555 à 563, Freycinet. — Quelques jours après, Monod raconta, dans le Figaro, qu’il avait rencontré Freycinet à la gare du Mans et que « le délicieux vieillard » lui avait dit, avec un accent d’énergie particulier : « La condamnation, c’est la perpétuité de nos discordes ; tout le monde doit désirer l’acquittement. » Ce que Monod interprétait : « Si M. de Freycinet croit que l’acquittement peut seul donner la paix à la France, c’est qu’il est convaincu que l’acquittement est la vérité. » (31 août 1899). Arthur Meyer, par dépêche, somma Freycinet de démentir le récit de Monod, ce que l’ancien ministre fit aussitôt. (De Thoune, 1er septembre). Monod maintint « intégralement et textuellement » son récit.