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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


généraux, protestait de toute idée de leur nuire, se séparait de son impétueux adjoint rien que par son attitude[1]. Demange, parce qu’il connaît les hommes, les accepte. Labori les ignore si bien que, dès qu’il tient un succès contre l’un d’eux, il s’en grise, incapable de mesure par manque de goût, et, pour vouloir trop vaincre, emporté par l’orageux désir de transformer une défaite en déroute, se fait ramener avec perte.

Il commit plusieurs fois cette faute, notamment à l’une des séances où le directeur de l’artillerie, Deloye, déposa comme « expert technique ».

Bien que Deloye, sous Galliffet, ne fût pas tout à fait le même que sous Freycinet, et que sa parole, à la fois brusque et prudente, fuyait l’expression nette de la pensée qu’il voulait produire, son hostilité avait paru, à sa première déposition, une hostilité de professionnel, d’autant plus dangereuse[2]. C’était un homme de petite taille, toujours en mouvement, l’allure d’un vieux colonel de l’Empire, qui semblait sortir d’un dessin de Raffet, une grosse tête chauve, des yeux vifs et rieurs, le visage énergique, taillé à la serpe, qui finissait dans une barbe de fleuve. Sans aller jusqu’à dire que Dreyfus, à l’École de pyrotechnie, eût vendu le secret de l’obus Robin, il soutenait, par exemple, que le schrapnel allemand et cet obus étaient fondés sur le même principe. Mais quand Hartmann eut établi que c’était faux[3], avec les pièces mêmes qui

  1. Chevrillon, loc. cit. — « Quand Demange a dit : « C’est bien, j’en tirerai les conséquences que je jugerai utile », il a tout dit. Paléologue prétend que c’est la meilleure tactique, qu’il faut laisser aux juges le soin de tirer eux-mêmes leurs conclusions. » (Lettre de Gast.)
  2. Rennes, II, 56, Deloye (30 août 1899).
  3. 31 août (audience à huis clos).