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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


plus à la justice d’outre-tombe qu’à celle des conseils de guerre, soit qu’il eût reçu de son jésuite l’autorisation de se parjurer pour la bonne cause, il affirma « sa conviction absolue de la culpabilité » de Dreyfus, mais sans oser cependant le regarder en face. Pour Picquart, il a été probablement en relations avec les Dreyfus, Esterhazy est leur « homme de paille », payé pour s’avouer, « au moment psychologique », l’auteur du bordereau, et « les aveux à Lebrun-Renaud ne peuvent pas être considérés comme inexistants. » Il s’émut, comme il convenait, au souvenir des aveux d’Henry : « Je ne vous dirai pas ce que j’ai souffert… » ; enfin, c’était vrai qu’il avait attendu toute une soirée les ordres de Mercier pour mobiliser contre l’Allemagne ; il a oublié la date, mais il est « absolument certain » du fait[1].

Quand Jouaust demanda à Dreyfus s’il avait quelque chose à dire, comme il faisait après chaque déposition, le malheureux ne trouva que cette phrase : « Je ne veux rien répondre au général de Boisdeffre… », mais il y mit l’une des grandes douleurs de sa vie, tout l’écroulement de sa foi dans cet homme qu’il avait placé si haut.

Lebelin de Dionne, à plus de soixante-dix ans, n’hésita pas à renouveler sous serment que Dreyfus, qu’il avait noté à l’École de guerre comme un très bon officier, lui avait paru dès lors indigne « de rester à Paris et de figurer à l’État-Major[2] ».

Gonse, puis Fabre et d’Aboville, puis tous les sous-ordres, les camarades d’hier, auraient droit à l’indulgence s’ils se contentaient de persévérer dans la commune erreur. Ils ont dans les yeux l’épaisse poussière du combat et ne voient pas à travers. Confesser comme

  1. Rennes, I, 528, 533, Boisdeffre.
  2. Ibid., t. II, 179, Lebelin de Dionne. — Voir t. III, 590.