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RENNES


guerre[1] ». — Enfin, comme il est impossible, sans la fausse date, que l’ultimatum allemand ait eu pour objet la restitution du vrai bordereau, Mercier se tait du but précis de la démarche de Munster, — il ne veut pas mentir, penseront les officiers, et il lui est défendu de dire toute la vérité — et il insiste seulement sur ce que Casimir-Perier « s’est arrêté dans sa déposition ».

Tout à l’heure, pendant que Mercier racontait les angoisses de cette nuit imaginaire, Casimir-Perier n’a pu retenir son indignation. Par deux fois, de sa place, il a protesté, démenti son ancien ministre d’un geste violent, demandé la parole. Mais Mercier, impassible, a continué son récit, Mercier qui, au contraire de Casimir-Perier, n’aurait pas « négocié » avec moi et qui n’a pas eu d’autre pensée que le salut et l’honneur de l’armée.

Sa grande force, avec son incroyable audace d’imposture, c’est que nul n’a sondé plus profondément, ne connaît mieux que lui la mentalité des militaires. Le même argument, qui paraît absurde aux civils, leur paraît décisif. Quand il reprend, à la stupeur des civils, les diva-

  1. Rennes, I, 97 : « À ce moment-là, devions-nous désirer la guerre ? devais-je désirer pour mon pays une guerre entreprise dans ces conditions ? Je n’hésite pas à dire non… Je devais, par intérêt et aussi par dévouement pour mon pays, faire tout ce qui était possible pour éviter la guerre… D’autre part, devais-je laisser les juges dans l’ignorance des charges qui pesaient sur Dreyfus ? » — Plus loin (103), quand il raconte qu’il a envoyé Lebrun-Renaud chez Casimir-Perier, le lendemain de la dégradation, dans la matinée du 6 janvier : « M. le Président de la République et M. le Président du Conseil, encore sous l’émotion très vive de la soirée que je vous ai racontée et des menaces de guerre imminente avec l’Allemagne, étaient hypnotisés… » Or, Munster ne se rendit à l’Élysée que dans l’après-midi, cinq ou six heures après Lebrun-Renaud. (Voir t. Ier, 538.)