Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
292
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


et sans timbre qu’on lui avait tant reprochée (sans toutefois que rien n’y vibrât ou n’y frémît des colères ou des souffrances accumulées pendant cinq années), et comme s’il passait un examen. Enfin, il réussit encore à se maîtriser, « à rester à l’alignement », quand Jouaust, arrivé à ses derniers feuillets, l’invita à raconter la visite de Du Paty, dans sa prison, à la veille de la dégradation, et ses propos à Lebrun-Renaud. Bien que la tragédie, cette fois, fût plus forte que lui et qu’au souvenir de l’affreuse journée, ses mains s’agitaient d’un tremblement continu, sa sensibilité resta encore tournée au dedans et, s’empêchant de pleurer sur lui-même, hypnotisé jusqu’au bout par son héroïque conception d’un surhomme militaire, il employa le formidable empire qu’il avait sur ses nerfs à retrouver sa précision et son impersonnalité. Cependant, il oublia de discuter, évoqua :

Cette conversation (avec Lebrun-Renaud) a été un monologue haché. Je lui ai dit : « Je suis innocent… » Je sentais au dehors tout un peuple ému auquel on allait montrer un homme qui avait commis le crime le plus abominable qu’un soldat puisse commettre ; je me rendais compte de l’angoisse patriotique qui étreignait ce peuple, et je disais : « Je voudrais crier à la face du peuple que ce n’est point moi qui suis coupable. Je voudrais essayer de faire passer dans cette foule le frisson que j’éprouve. Je voudrais lui faire comprendre que l’homme qu’elle croit avoir commis ce crime n’est pas celui qui a été condamné. Je vais crier à la face du peuple mon innocence. » J’ajoutai : « Le ministre le sait bien ». Cela se rapportait à ce que j’avais dit au lieutenant-colonel Du Paty de Clam

    timbre », en harmonie « avec cette tenue sans frisson ». (Loc. cit., 139.)