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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


avec Millerand (pour la première fois depuis notre duel) et que je lui fis la communication de Waldeck-Rousseau. Il eût préféré, certainement, être ministre sans que Galliffet le fût du même coup, mais il accepta, parce que les responsabilités n’étaient pas pour l’effrayer et, aussi, parce qu’il se sentait mûr pour le pouvoir et las des oppositions stériles, sous la tyrannie des comités. Jaurès, au contraire, s’échauffa. Il consentait à soutenir même un ministère dont ferait partie Galliffet, puisqu’on le disait fidèle, résolu à mettre la haute armée au pas et acquis à la Revision ; mais il suppliait Millerand de ne pas mettre sa main dans celle du « massacreur de mai ». À l’évocation de ces atroces journées, dont l’ombre était sur Galliffet, bien que la légende y eût exagéré son rôle et que, lui du moins, eût refusé de ramasser une décoration dans le sang, les autres socialistes qui assistaient à la conférence et dont plusieurs avaient pris part à la Commune[1], éprouvèrent une vive émotion, et le combat le plus honorable se livra en eux, entre tant de souvenirs douloureux et leur souci du danger présent. Millerand, très soutenu par Clemenceau, tint bon. Quelqu’un ayant mis en doute la sincérité de Galliffet dans l’Affaire, j’apportai, à une seconde conférence que nous eûmes le soir, un lot de lettres du général qui parurent décisives. Enfin tous consentirent[2].

Le lendemain (22 juin), lorsque Waldeck-Rousseau accepta officiellement de former le ministère, il était assuré déjà de tous ses collaborateurs ; la seule question

  1. Notamment Paschal Grousset.
  2. Un vieux blanquiste, qui avait été de la dernière barricade de la Commune et, même, du peloton d’exécution des otages, dit à Ranc que « mettre Galliffet et Millerand dans le même ministère, c’était un coup de génie ». — Jaurès écrivit le