Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
86
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


qui donne les chiffres des effectifs, le montant des crédits affectés aux travaux ordinaires et extraordinaires, les grandes manœuvres déroulant leur pompe théâtrale sous les yeux des attachés étrangers, spécialement conviés, la presse toujours à l’affût des nouvelles et qui ne recule devant aucune indiscrétion, la presse spéciale que le ministère documente lui-même, les centaines de volumes et de brochures qui sortent tous les ans des imprimeries militaires, tant de publicité, patentée ou inévitable, laisse peu de chose dans l’ombre. La mobilisation, elle-même « est écrite sur le territoire[1] ». Un frémissement patriotique s’empare des esprits à l’idée que ces secrets auraient été trahis. Or, les voies ferrées, les voies de débarquement, les stations-magasins sont autant de jalons publics de la mobilisation. Tout est connu, sauf quelques horaires, tels points de concentration ou tels centres d’approvisionnement, ou, pendant les deux ou trois années qui suivent l’invention, tel détail d’un engin nouveau (canon ou fusil) ou d’une matière explosive ; le plus souvent, l’étranger en a du reste l’équivalent, car les progrès de la science, chimie ou mécanique, sont presque parallèles dans tous les grands pays. Même dans l’étroit domaine qui reste muré devant le Parlement et la presse, l’étranger pénètre officiellement. Les attachés militaires étaient reçus, chaque semaine, au deuxième bureau, où le colonel de Sancy, le lieutenant-colonel Davignon, le capitaine d’Astorg, d’autres encore, s’empressaient à répondre à leurs questions[2]. Il y avait donc peu à glaner ; certains mois, Esterhazy, malgré son bon vouloir, ne trouvait rien. Il s’ingéniait

  1. Freycinet, même discours.
  2. Revision, 111, Picquart : « Les officiers se plaignaient de travailler plus pour eux que pour l’État-Major. »