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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Ce fut l’une des dernières que signa Freycinet. Deux jours après, Ribot, président du conseil, reconstitua le ministère. Il n’appela point Freycinet dans la nouvelle combinaison (31 décembre). Loubet, ministre de l’intérieur, et Burdeau, ministre de la Marine, se retirèrent en même temps.

Pour Esterhazy, son envoi, après tant d’intrigues, dans une garnison si voisine de Paris n’eut d’autre résultat que d’accélérer sa débâcle. À peine nommé[1], il n’y fit que de courtes apparitions, toujours en permission ou en route, professant plus que jamais le mépris de son métier et absorbé par la question d’argent, spéculateur en uniforme, talonné par ses créanciers, brûlant ses dernières cartouches. Ce qu’il gagnait parfois dans une série de petites opérations bien conçues et prudentes[2], il le perdait aussitôt dans le grand coup qui devait refaire sa fortune[3]. « Je continue à prendre la culotte, écrit-il en janvier, mon Turc f… le camp[4]. » Le mois d’après, sa déveine persistante prend un ton plus tragique : « La jettatura m’a fa maledetto, je suis désespéré[5]. » Et, comme tant de scan-

  1. Il prit son service dans les premiers jours de février 1893. (Cass., I, 780, Mulot.)
  2. J’ai sous les yeux sa correspondance dans l’une des maisons de coulisse où il opérait, surtout sur la rente. De janvier 1893 à février 1894, il gagna presque toujours, environ 10.000 francs (exactement : 9.709 fr. 60). Voici l’un de ses ordres : « L’extérieur repart en arrière. Que penseriez-vous de vendre une prime dont 25 sur notre prime dont 50 ? Si cela baisse, cela diminue ma perte de moitié ; si cela monte, je bénéficie de l’écart. Ou bien de vendre 2.000 ferme ? » Il téléphone de Rouen, se tient au courant des fluctuations du marché.
  3. Notamment, des spéculations sur la rente italienne, auxquelles il fait de fréquentes allusions dans ses lettres à Grenier, et sur les mines d’or. (Cass., I, 707, lettre à Jules Roche.)
  4. Lettre à Ernest Crémieu-Foa, de janvier 1898.
  5. Lettre à Grenier.