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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


« son répondant ». Deux experts toutefois hésitèrent à lui attribuer le bordereau. Enfin, en février 1896, il fut en mesure d’agir. C’est alors que le Syndicat « embaucha » le haut fonctionnaire de la guerre. « Muni d’avances considérables », celui-ci entra en campagne, « soudoya des subalternes, se procura de l’écriture de la victime, s’acharna pendant des mois entiers à le compromettre, avec l’aide de coquins immondes[1] ». Il lui attribua le bordereau et composa un dossier avec « des pièces fausses provenant, soi-disant, d’une ambassade », notamment une fausse lettre de la victime à un diplomate, « fabriquée avec un art si merveilleux que le fourbe eut le tort d’en rêver tout haut ». Au mois de septembre 1896, « tout était prêt » ; on lança la nouvelle de l’évasion de Dreyfus et Bernard Lazare publia sa brochure avec les documents que le fonctionnaire félon lui avait livrés. Cependant, « la tentative avorta », l’instigateur de cette infâme machination, « ayant été éloigné de Paris sous un prétexte qu’on n’a pu encore élucider ». Il y revint plus tard (en juin 1897) pour s’entendre avec son Syndicat. Il est assisté « d’une personnalité juridique qui tombe, comme lui, sous le coup de la loi sur l’espionnage ». Billot, depuis longtemps, aurait dû faire perquisitionner chez ce complice. Mais Billot n’ose pas faire son devoir, « ce qui n’est ni crâne ni honnête ; chez lui, le politicien prime le soldat ». Quoi qu’il en soit, « la victime n’est ni morte ni en Suisse ; elle fera voir qu’elle attend de pied ferme la stupide accusation du vieux pharisien Scheurer ». Au surplus, le bordereau n’est qu’une preuve, entre cent, du crime de

  1. Cass., II, 221, Picquart : « Les mêmes imputations sont contenues dans la lettre qu’Esterhazy m’a écrite le 7 novembre. »