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LA COLLUSION


Saussier, « qui le reçut avec la plus grande bienveillance[1] ».

Saussier l’avait connu par Weil et il l’avait protégé, moitié par faiblesse, moitié parce qu’il le savait informé de quelques-unes de ses aventures galantes de vieux soldat et très lié avec Drumont. Maintenant, un grand scandale va éclater autour de ce fâcheux personnage, et Saussier craint que quelque éclaboussure n’en rejaillisse sur lui, au terme de sa belle carrière, moins de deux mois avant de prendre sa retraite. Sans doute, sa vie a été celle d’un honnête homme, et, s’il aima les femmes, s’il les aime encore, est-ce un crime ? Pourtant, il a peur que ces histoires ne soient racontées. Plus jeune, il s’en fût amusé ; à soixante-dix ans, il en sera ridicule. Mieux vaut ne donner à Esterhazy nul sujet de plainte. Au surplus, Billot, Boisdeffre affirment que l’individu, pour taré qu’il soit, n’est pas un traître.

Mais il a toujours cru que Dreyfus est innocent !

Un combat, il faut le supposer, se livra dans sa conscience, combat très court. Il avait la bonté molle des hommes gras. Après tout, ce ne sont pas ses affaires.

Il a toujours été le plus discipliné des soldats et le plus respectueux. Quoi ! il ne mettra même pas aux arrêts cet officier qui menace d’un document volé le Président de la République, et de faire appel à l’étranger, et d’exposer son pays à une humiliation ou à la guerre !

S’abaisser à un tel rôle dut lui paraître très pénible. Il s’y abaissa, toutefois, puisque Esterhazy sortit de chez lui indemne, libre, la tête haute.

Esterhazy, feignant l’exaspération, refusa de préciser

  1. 7 novembre 1897. — Cass., II, 95, Enq. Pellieux ; Procès Esterhazy, 125, Esterhazy.