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ESTERHAZY


demandèrent que le procès verbal ne fût pas publié, parce qu’ils « répugnaient à l’idée de voir leur nom dans les journaux[1] ». En conséquence, Morès et Guérin acceptèrent de déclarer, sous leur signature, que Lamase avait seulement signé les articles et qu’un officier, qui ne voulait pas se révéler, les avait écrits.

Le frère de Crémieu-Foa s’indigna de cette convention qui laissait le public dans l’ignorance de la honteuse vérité. Esterhazy l’engagea à divulguer, quand même, le procès-verbal[2]. Ce jeune homme le tenait pour le plus loyal des soldats, un type de chevalerie. Quelqu’un, cependant, l’avait averti : « Il ne regarde jamais en face ; il vous trahit. » Esterhazy passa la soirée à la Libre Parole[3] ; le procès-verbal parut dans un journal du lendemain[4].

Cette incorrection eut de terribles conséquences. Les deux adversaires avaient à peine échangé quatre balles, sans résultat, que Morès, sur le lieu même du duel, accusa le capitaine Mayer d’avoir manqué à sa parole en publiant le procès-verbal. Mayer, qui avait vivement reproché son indiscrétion à Ernest Crémieu[5], répliqua à Morès qu’il n’y était pour rien, mais qu’il se tenait à sa disposition[6]. Lui aussi, il avait peur de paraître

  1. Acte d’accusation : « Le procès-verbal sera communiqué seulement aux intéressés, aux adversaires et à leur entourage immédiat. » La demande fut formulée par Mayer.
  2. Cass., I, 711, Grenier : « C’est lui qui a donné à mon beau-frère Ernest Crémieu-Foa le conseil de publier le procès-verbal du duel Lamase, publication d’où sont résultées la mort du capitaine Mayer et la disqualification d’Ernest Crémieu. » — Esterhazy, dans ses dépositions et dans de nombreux écrits, a fréquemment injurié Gaston Grenier, mais sans jamais contester ce fait précis.
  3. Il le dit lui-même à Ernest Crémieu.
  4. Matin du 20 juin 1892.
  5. Mémoire, 43.
  6. Procès Morès. (Libre Parole, Droit, etc., du 30 août.)