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LA COLLUSION


même heure, dans le Matin : « Il est temps que cesse cette comédie » ; Scheurer, non content d’être la dupe et le complice d’un « homme de paille », fait dire que, s’il ajourne ses révélations, c’est que le ministre de la Guerre l’a prié d’attendre ; « il dira bientôt que, s’il ne parle pas du tout, c’est que le ministre lui a ordonné le silence ». Or, « le gouvernement tient depuis longtemps, toute la trame du complot ». Si le vice-président du Sénat « s’obstine dans son inexplicable mutisme », il faut que le gouvernement soit sommé de parler.

Scheurer, dans son entrevue (la troisième) avec Méline, l’aborda vivement : « Le ministère de la Guerre sortira déshonoré de cette affaire. Ce n’est pas par la violence, le mensonge, la calomnie que l’on défend une juste cause. En ayant recours à de telles armes, l’État-Major me donne une preuve de plus que Dreyfus est innocent. — Quoi ! interrompt Méline, vous pouvez croire que Billot sache Dreyfus innocent et ne fasse rien pour que justice lui soit rendue ? — Certains militaires, répond Scheurer, ont de leurs devoirs une autre conception que nous. Ce qu’ils appellent « l’honneur de l’armée » leur semble, parfois, plus important que l’honneur tout court ». Encore une fois, il offre à Méline de lui faire connaître la correspondance de Picquart et de Gonse : « M. Leblois, dit Méline, a commis un abus de confiance en vous remettant ces lettres. — C’est affaire entre M. Leblois et sa conscience. — Eh bien, non, riposte Méline, je ne veux pas connaître ces lettres. — Vous parliez autrement il y a peu de jours ; les intérêts les plus sacrés de l’État exigent que vous en preniez connaissance. — Non, non, je ne veux pas les lire ! — Ah ! s’écrie Scheurer, se levant et marchant vers Méline très pâle, ni Gambetta, ni Ferry, ces hommes d’État, n’auraient refusé de m’entendre. »