Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/650

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
640
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Cette femme mystérieuse, fille de son cerveau nourri de méchants romans (Speranza, puis Espérance), tantôt associée à Picquart et tantôt le trahissant, avait continué à protéger Esterhazy. Maintenant, à une nouvelle entrevue, où elle arrive étroitement voilée, elle lui confie, pour qu’il s’en fasse une arme, « la photographie d’une pièce que Picquart a dérobée dans une ambassade étrangère et qui compromet gravement de hautes personnalités diplomatiques[1] ».

Précédemment, Esterhazy avait entretenu Du Paty de Guénée et de divers inconnus qui le renseignaient sur les manœuvres de ses adversaires[2] ; il lui confia, sur ces entrefaites, qu’une femme était sa principale informatrice ; mais bien loin d’en faire une héroïne de roman, il la représenta sous les traits d’une femme du monde ou du demi-monde qui lui portait intérêt[3]. Il ne parla point davantage de rendez-vous nocturnes, sous le voile, aux lieux même où il avait coutume de se rencontrer soit avec Du Paty, soit avec la marquise, ce qui eût pu éveiller le soupçon ; l’aventure était piquante, mais banale. Même un jour que Du Paty le questionna

  1. Cass., III, 473, Esterhazy, lettre à Félix Faure. — De même, Procès Esterhazy, 125. — On a vu (p. 578, note 1) que, dans tous les premiers récits d’Esterhazy, « Espérance » et la « dame voilée » ne sont qu’un seul personnage ; il ne distingue entre elles qu’à son procès. — Henry, à l’enquête Pellieux (28 nov. 1897), dit que « cette pièce n’a pu sortir du ministère que par la faute ou par la négligence de Picquart. » — Instr. Tavernier, 13 juillet, Du Paty : « Henry avait les éléments nécessaires pour pouvoir inspirer à Esterhazy l’histoire de la dame voilée. »
  2. Cass., I, 449 ; II, 195 ; Instr. Tavernier, 23 juillet 1899, Du Paty.
  3. Enquête Renouard, 9 septembre 1898, Du Paty : « À un moment donné, Esterhazy a même cité le nom. » — De même, Cass., I, 449. — Instr. Tavernier, 26 juin 1899. « Esterhazy ne m’a jamais parlé de la dame voilée, mais d’une inconnue qui le renseignait ; ce n’était pas invraisemblable ; je l’ai cru. »