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ESTERHAZY

Qui était ce diffamateur masqué ? Morès et Drumont refusèrent de le livrer ; Esterhazy déposera, par la suite, qu’il chercha en vain à se le faire nommer, « afin, dit-il, que l’armée pût le chasser à coups de bottes[1] ».

Cependant Crémieu ne déclina pas la rencontre et chargea de nouveau Esterhazy et Devanlay de ses intérêts. Lamase désigna Morès et Guérin[2]. « Morès et ses amis » habitaient la même maison[3].

À partir de ce moment, l’attitude, déjà suspecte d’Esterhazy, ne laisse aucun doute qu’il s’était offert à Crémieu, à la demande des gens de la Libre Parole, pour faire commettre des maladresses à son ami et pour le perdre. Il a consenti à le représenter, tout en lui conseillant de ne pas se battre avec le prête-nom de l’officier anonyme ; puis, bien qu’il voie familièrement Morès, qui l’avait conduit chez Drumont[4], il prend si mal ses

  1. Procès Morès, audience du 30 août 1892. (Loi du 1er septembre.) — Esterhazy ajoute : « Je ferai même déshabiller les deux chasseurs qui l’expulseront, pour qu’ils ne salissent pas leur uniforme. » — Les journaux de toutes nuances sommèrent en vain l’officier anonyme de se nommer.
  2. Jules Guérin, né à Madrid, le 14 septembre 1860. Il fit, pendant plusieurs années, des affaires qui tournèrent mal. En 1888, il s’associa à deux Allemands de Hambourg, Menesser et Ackermann, dans une affaire d’huiles minérales, pour faire concurrence à la maison dont il était le représentant. Les associés y perdirent 200.000 francs. Déclaré en faillite le 15 octobre 1889, il s’associa, en 1891, pour le commerce du pétrole, avec un sieur Roblin qui y perdit tout son avoir. Il fut l’un des organisateurs des groupes antisémites. (Haute Cour de Justice, procès de 1899, IV, 4 et 5.)
  3. 38, rue du Mont-Thabor.
  4. Cass., I, 712, Grenier ; il insiste sur les « relations incessantes d’Esterhazy avec MM. Drumont, de Morès, Guérin, etc., pendant toute la durée de l’affaire des duels, relations qui n’ont pas cessé depuis avec la rédaction de la Libre Parole. Ces relations avec Morès et Drumont remontent au printemps de 1892. » — Dans une lettre d’avril 1894 a Ernest Crémieu-Foa, Esterhazy rappelle que la Libre Parole publia, le 1er juin, au lendemain du