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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Le ministre quitte à l’instant Scheurer, avec lequel il a déjeuné ; longue entrevue confidentielle. Tout va tout à fait bien. L’ennemi est fixé[1].

XV

Dès le lendemain, la parole de Billot fut violée ; la presse, qui recevait les communiqués de l’État-Major, raconta que Scheurer avait rendu visite au ministre, mais qu’il ne lui avait fourni aucune preuve de l’innocence de Dreyfus ; la cause était entendue[2].

Atteint au cœur par cette déloyauté, Scheurer adressa aussitôt un noble appel à Billot[3]. Il ne l’accuse pas de l’indiscrétion, mais son État-Major : « Fais taire les imprudents qui t’entourent ! » Et surtout, il l’invite à « courageusement, loyalement » poursuivre l’enquête promise », à ne pas permettre à d’autres de s’en mêler » :

L’armée, que j’aime autant que toi, ne pourrait qu’y perdre. Elle peut s’en tirer honorablement encore ; demain, peut-être, il serait trop tard.

Je t’en conjure, au nom de cet intérêt sacré, foule aux pieds toute considération secondaire ; c’est digne de toi…

En quoi l’armée serait-elle touchée si les généraux reconnaissaient eux-mêmes qu’il y a eu peut-être une erreur judiciaire ? Ils en seraient grandis, et le général Mercier et les autres. L’opinion publique serait avec eux, sois-en certain.

Que si, au contraire, on parvient à étouffer ce qui ne

  1. Dép. à Londres, 26 février 1900.
  2. Matin, Intransigeant, Libre Parole, Patrie, etc., du 31 octobre 1897.
  3. 1er novembre 1897.