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ESTERHAZY


dénoncés, en bloc, comme une plaie de l’armée, un danger public. Vienne une guerre « et Rothschild se fera communiquer les plans de mobilisation ; — on pense bien dans quel but ».

Le capitaine Crémieu-Foa, du 8e dragons, releva le gant. Il adressa une provocation à Drumont : « En insultant les trois cents officiers français de l’armée active qui appartiennent au culte israélite, vous m’insultez personnellement. » La Libre Parole répliqua : « Si les officiers juifs sont blessés par nos articles, que le sort désigne parmi eux le nombre qu’ils voudront de délégués et nous leur opposerons un nombre égal d’épées françaises[1]. » Cette antithèse, d’un côté les épées françaises, et, de l’autre, les épées juives, était une insulte de plus. L’article portait une signature collective : « Édouard Drumont ; la rédaction de la Libre Parole ; Morès et ses amis[2]. »

Crémieu-Foa me pria de l’assister[3]. Je lui fis observer qu’officier, il devait, surtout dans une telle affaire, s’adresser à des officiers. Le même jour, devant les

  1. 28 mai 1892.
  2. Le marquis de Morès (né le 14 juin 1858, mort le 9 juin 1896) était le fils du duc de Vallombrosa. Il avait passé quelque temps dans l’armée, puis, ruiné au jeu, partit pour l’Amérique, où il fit le commerce des bœufs. Il se jeta, vers 1890, dans l’antisémitisme par haine des Rothschild, qui étaient les amis de son père, mais que ses demandes répétées d’argent avaient lassés. Lors du mariage de Mlle de Rothschild avec le baron Léonino, il organisa une manifestation aux portes de la synagogue ; des camelots lancèrent des boules d’assa fœtida sur les robes des invitées. Il avait épousé une Américaine.
  3. Il était mon camarade de collège. Le lendemain, il vint me retrouver, me dit que le comte Esterhazy s’était mis à sa disposition et me pria d’être son second témoin. Je lui dis que, s’il ne trouvait pas un second officier, je serais à sa disposition, mais qu’Esterhazy avait une réputation plutôt fâcheuse. Il me répondit : « C’est la nature la plus généreuse que je connaisse ! »