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LA COLLUSION


signa sa porte, pour avoir, au moins « la tranquillité matérielle », et se résigna à « avoir une mauvaise presse ».

Les journalistes, en effet, le traitèrent comme ils avaient été reçus par lui, avec mauvaise humeur ; et, comme ils furent accueillis, au contraire, avec empressement dans les bureaux de l’État-Major, ils répétèrent tout ce que voulaient Boisdeffre et ses acolytes. Il est convenu que les parlementaires sont des menteurs et les militaires, par profession, les plus véridiques des hommes. Ces guerriers, incapables de farder la vérité, étaient indignés de l’injure faite à leurs camarades, aux sept officiers qui, à l’unanimité, la mort dans l’âme, ont condamné Dreyfus. Ils firent aussitôt leurs confidences aux braves journalistes, aux bons Français, qui venaient au secours de l’armée insultée.

Il fut donc établi, dès la première heure, que Scheurer était la dupe d’une intrigue. Il n’a rien dans son fameux dossier. Il s’est trouvé un misérable qui a accepté, contre une forte somme d’argent, d’endosser les crimes de Dreyfus, mais qui est à l’abri, en Suisse. On le connaît « en haut lieu ». Bien plus : Billot a offert à Scheurer de lui montrer les preuves formelles, irréfutables, qui ont décidé, en 1894, l’unanime verdict et « les documents qui sont venus s’y ajouter par la suite ». Mais l’obstiné sénateur n’a rien voulu entendre. On signale, en outre, que, tout l’été, il a été en correspondance suivie avec moi[1] ; ne suis-je pas l’homme de tous les mauvais coups ?

Pour comble, Drumont feint de s’apitoyer sur Dreyfus. Si Scheurer possède les preuves de l’innocence du condamné, son retard à les produire est criminel[2]. « Qu’il

  1. Matin du 29 octobre 1897.
  2. Libre Parole du 29.