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LA COLLUSION


Félix Faure la lettre d’audience qu’il attendait. Ses amis le savaient à Paris, s’inquiétaient de sa réserve à leur égard. Ranc alla le voir[1], le questionna. Engagé d’honneur avec Leblois, Scheurer refuse toute explication ; il déclare toutefois que sa conviction, loin de faiblir, s’est fortifiée, qu’il est résolu à poursuivre la revision du procès de Dreyfus et que ses amis, comme il les en a déjà priés, lui rendront service en répandant la nouvelle.

Cet honnête savant n’avait mesuré ni l’étendue de sa tâche, ni la force des résistances qui lui, seront opposées. À l’idée qu’un soldat innocent a payé pour un traître, cette nation généreuse va s’émouvoir ; et qui soupçonnera Scheurer d’agir perfidement ou à la légère ? Les propos de ses amis reviendront au gouvernement et auront raison du sot amour-propre qui hésite à reconnaître une erreur. Il escomptait une pression favorable à ses desseins : ce fut une tempête qui éclata.

Ranc, en quittant Scheurer, rencontra Paschal Grousset. C’était un vieux compagnon de luttes sous l’Empire. L’ancien délégué de la Commune aux relations extérieures, évadé de la Nouvelle-Calédonie avec Rochefort, avait étudié en Angleterre les mœurs d’un pays libre. Après l’amnistie, loin de la politique, il avait préconisé, dans d’agréables écrits, la renaissance des exercices physiques qui font des corps sains pour des esprits robustes. Puis, le goût de la bataille lui étant revenu, il fut élu député à Paris ; mais ses rares interventions à la Chambre ne furent pas heureuses. C’était lui qui, par ses attaques virulentes contre Galliffet, avait préparé à Mercier un éclatant triomphe. Il avait conçu, de longue date, des doutes sur la culpabi-

  1. 27 octobre 1897.