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LA COLLUSION


à Tunis ; il ne lui confia aucun message. — Ce voyage fut connu d’Henry et d’Esterhazy, qui le rattachèrent au complot de la « bande[1] ». — Pour le congé de Picquart, Boisdeffre avait pris ses précautions.

Picquart, exactement informé, n’eût-il pas ratifié, dès lors, les démarches de Leblois ? Il l’a fait plus tard. N’eût-il pas délié Scheurer d’un secret trop étroit s’il avait connu le nom de l’homme, de son compatriote alsacien qui avait pris en main la cause de l’innocent ? Il s’y refusera par la suite. En tous cas, Leblois eût dû lui rendre compte.

Silence invraisemblable, désastreux et combien inutile, puisque Boisdeffre et ses collaborateurs sont persuadés que Picquart, par Leblois, a tout divulgué à Scheurer, et que cette conviction centuple leurs haines !

Ainsi pris entre sa conscience et son amitié, Leblois se désolait, appelait le hasard au secours. En attendant, il s’efforçait de tout concilier, car il eût voulu à la fois sauver Dreyfus et ne pas compromettre Picquart, et il aggravait le mal. Il s’en rendait compte, en souffrait cruellement. Il cherchait parfois des chemins de traverse pour sortir de cette impasse ; alors il s’embourbait davantage, et Scheurer avec lui.

Cette loyauté impeccable de Scheurer, ces variations perpétuelles de Leblois, c’est, en effet, la défaite assurée dans une telle bataille et contre de tels adversaires. Leblois, avocat, renouvelle l’erreur de Picquart, soldat. Le professionnel a parlé trop, l’homme trop peu. Et cependant, bribe par bribe, lambeau par lambeau, il va falloir, l’un et l’autre, qu’ils disent tout, qu’ils se laissent tout arracher. Mais trop tard. La bombe, éclatant tout à coup, eût tout emporté. Ils tirèrent à chevrotines.

  1. Cass., II, 97, Enq. Pellieux, Esterhazy.