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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


grand, élancé, rigide comme un officier prussien, orné d’une fausse barbe noire[1]. Leur compagnon, Henry, resta dans la voiture[2], mais observant la scène par la lucarne de derrière[3]. Du Paty aborda brusquement Esterhazy : « Commandant, vous savez de quoi il s’agit[4] ? » Puis, d’une voix précipitée[5], et verbeux à son ordinaire, il raconta les machinations de Scheurer et des Juifs ; mais leur complot est connu des chefs de l’armée ; la culpabilité de Dreyfus est certaine, confirmée par des preuves postérieures[6] ; Esterhazy, injustement accusé, aura des défenseurs résolus ; son nom même ne sera pas prononcé, mais à la condition qu’il obéisse aux instructions qui lui seront données[7]. À cet effet, il devra se rendre tous les soirs dans le salon d’attente du Cercle militaire, où l’homme aux lunettes bleues lui transmettra les ordres[8].

  1. Cass., I, 435, Gribelin ; I, 448, Du Paty ; Esterhazy a fait deux récits presque identiques de l’entrevue de Montsouris (Cass., I, 578 ; II, 181, Cons. d’enquête).
  2. Cass., I, 448, Du Paty. — Esterhazy dit, plaisamment, « qu’il ne put voir la figure de cette personne » (Cass., I, 579).
  3. Instr. Tavernier, 23 juillet, Du Paty : « Ce mystère dont Henry a entouré ses relations avec Esterhazy rend d’autant plus étrange sa présence à l’entrevue de Montsouris, à distance, dans un fiacre d’où… etc. »
  4. L’entrevue de Montsouris est du 23 octobre. « Je suis à peu près certain, dépose Roget, que la première entrevue entre Du Paty et Esterhazy doit être du 31 octobre. » (Cass., I, 99.) C’est la date de la seconde lettre d’Esterhazy à Félix Faure.
  5. Cass., I, 578, Esterhazy.
  6. Ibid., 455, Du Paty : « Je lui ai dit qu’on savait après une longue et minutieuse enquête… etc. »
  7. Cass., I, 610, lettre d’Esterhazy au président Lœw : « À partir de ce moment, je n’ai cessé d’être en relations constantes, directes ou indirectes, avec mes supérieurs, dont je recevais des instructions auxquelles je me suis strictement conformé… Tous mes écrits, depuis le mois de septembre 1897, m’ont été ordonnés ou dictés par mes chefs. »
  8. Cass., I, 579, Esterhazy.