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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de la Meuse[1] ; la marquise, de souche bourgeoise, dévote, entichée de son titre, était riche et avait vécu longtemps séparée de son mari. Esterhazy jugea la situation d’un œil rapide. « Le fait que j’avais servi à Rome, écrit-il, donna à ma belle famille des illusions sur moi[2]. » Pour Mlle de Nettancourt, il eut vite fait de l’éblouir par le feu d’artifice de sa conversation, le récit de ses exploits et ses grands airs. La dot était de deux cent mille francs[3]. L’entremetteur en reçut six mille. Esterhazy, le jour du contrat, n’avait plus rien que ses hardes et quelque argenterie.

Le mariage, avec une femme aimante, qui le faisait entrer dans la meilleure société, monarchiste et religieuse, et lui donnait un foyer, ne le sauva pas. Il semble, au contraire, qu’il ait été pris (à Marseille jusqu’en 1889, puis à Paris où il obtint de revenir) d’une frénésie accélérée, achetant des objets d’art, des armes, un château[4], multipliant les opérations de Bourse[5],

  1. Château de Nettancourt, près de Révigny. — Le marquis de Nettancourt avait un fils et deux filles, l’une qui épousa un capitaine de frégate, l’autre qui devint Mme Esterhazy.
  2. Lettre à Maurice Weil, de juin 1894.
  3. Un fac-similé du contrat de mariage, recopié de la main d’Esterhazy, a paru dans le Journal du 17 novembre 1897. Par l’article 3 du contrat, Esterhazy déclare apporter en mariage : 1° ses habits, linge, effets et bijoux pour 4.000 fr. ; les meubles meublants, objets mobiliers, objets d’art, argenterie et bibliothèque, estimés à la somme de 43.150 francs ; ensemble : 47.150 francs. — La dot de Mlle Anne de Nettancourt fut constituée par sa mère ; cette dot comprenait un trousseau d’une valeur de 5.000 francs et 2.225 francs de rente 4 1|2. Mlle de Nettancourt apportait en outre au mariage : 1° des effets et objets d’une valeur de 2.000 francs ; 2° le montant d’un legs de 150.000 francs qui lui venait de sa grand’mère, Mme de Rogier ; ensemble : 207.000 francs.
  4. À Dommartin-la-Planchette (Marne) à 5 kilomètres de Sainte-Menehould. « Les terres sont inlouables ou invendables ; bien dotal. » (Cass., I, 706, lettre à Jules Roche.)
  5. Il perdit une forte somme dans la faillite d’un agent de change à Marseille. (Lettre à Maurice Weil.)