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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

XVIII

Je me trouvais, vers la même époque, à Vichy, avec le ministre de la Justice, Darlan, girondin de bonne souche, d’apparence fruste et de cœur chaud, qui avait fait preuve, fréquemment, de courage, avisé et solide, mais, bien qu’il eût le sentiment de ses devoirs, inférieur à une charge où, pour conjurer la crise menaçante, il n’eût pas fallu un moindre homme que d’Aguesseau ou Molé. Sur l’invitation pressante de Scheurer[1], je l’informai de ses desseins et de ce que je savais de l’affaire, de mon ancienne conviction et de la crise redoutable que je prévoyais, si le gouvernement n’entreprenait pas lui-même la réparation de l’erreur judiciaire. Je venais de recevoir de Mme Dreyfus la copie d’une des dernières lettres de son mari, l’une des plus belles et des plus déchirantes qu’il ait écrites[2] :

Et ce but, disait-il (la revision de son procès), tu dois, vous devez l’attendre en bons et vaillants Français qui souffrent le martyr, mais qui, ni les uns ni les autres,

  1. Je l’avais consulté sur l’opportunité qui s’offrait à moi d’entretenir Darlan. Il me répondit le 7 septembre : « Vous m’auriez aidé en criant urbi et orbi : Scheurer-Kestner est persuadé ! Pourquoi ne l’avez-vous pas dit à Darlan ? Par discrétion, m’écrivez-vous ! Mais je ne vous l’ai pas demandée. » — J’avais précédemment informé des desseins de Scheurer-Kestner plusieurs de mes amis : en juillet, à Bayreuth, Hugues Le Roux, Adrien de Montebello ; en août, à Riez, le docteur Prosper Allemand, ancien représentant des Basses-Alpes, et son fils ; à Vichy, Anatole Leroy-Beaulieu, membre de l’Institut, Henri Monod, Edmond Goudchaux (de Metz). Je fis, un peu plus tard, la même communication à Édouard Aynard, député de Lyon, à Albert Sorel, qui avait été avisé déjà par Ranc, etc.
  2. Du 10 août 1897.