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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Du Paty lui-même avait exprimé l’avis que ce serait folie, s’il y avait eu erreur, d’y persévérer[1].

Mais, d’abord, à tout événement, et à quelque parti que le ministre doive s’arrêter (soit qu’il obéisse à ce qui lui reste de conscience, soit qu’il estime plus utile à ses intérêts de se solidariser avec Boisdeffre et Mercier), une précaution s’impose : mettre, enfin, Esterhazy dans l’impossibilité de continuer sa trahison.

Billot peut avoir cru sincèrement à la culpabilité simultanée d’Esterhazy et de Dreyfus ; Picquart, lui-même, l’a supposé, espéré, pendant une heure, avant d’ouvrir le dossier secret. Il ne gardera pas plus longtemps un traître sous les drapeaux, non par pudeur, mais devant le prochain péril.

Boisdeffre et Gonse ne firent nulle objection ou se résignèrent, pour les mêmes raisons qui inspiraient au ministre son tardif, mais prudent scrupule. Esterhazy fut invité, discrètement, à demander lui-même sa mise en non-activité pour infirmités temporaires. Et il s’y prêta, soit que l’atmosphère du régiment lui fût devenue intolérable[2], soit qu’Henry l’ait prévenu des nouveaux dangers[3]. La bourrasque passée, Esterhazy sera récompensé de sa silencieuse déférence.

Le décret de mise en non-activité est daté du 17 août ; par une anomalie exceptionnelle, il ne fut pas mentionné au Journal officiel, où Picquart, Leblois et Scheurer auraient pu le lire.

  1. Cass., II, 33. (Voir p. 409.)
  2. Il était en congé depuis le mois de juin. (Cass., II, 228, Esterhazy.)
  3. Cass., I, 792, femme Gérard : « Le commandant nous a affirmé qu’il avait été prévenu au mois d’août qu’il allait être dénoncé comme ayant écrit le bordereau. » Le 1er octobre, il écrivit à Christian qu’il était menacé de gros ennuis.