de plusieurs conversations[1] ; le bruit en arriva à Billot, à Méline. Billot comprit que cela devenait sérieux ; Méline haussa les épaules. En vain, Waldeck-Rousseau, dont les doutes étaient anciens, le pria de faire attention à cette affaire, grave entre toutes. Méline, politique réfléchi, mais à courtes vues, obstiné comme le sont les montagnards, les solides Vosgiens, et dominé par Billot, ne voulut rien entendre.
Scheurer invita quelques-uns de ses amis, dont Ranc et moi, à répandre que sa conviction était faite et que Dreyfus était innocent. Ainsi se créera une atmosphère favorable à ses projets. Mais il refusa d’entrer dans aucun détail ; il avait donné sa parole de garder le silence ; on ne lui tirera pas un mot.
Il m’autorisa toutefois à faire part de sa conviction à Mme Dreyfus et de son ferme dessein de poursuivre la réhabilitation du condamné ; elle pouvait, mais avec des précautions, sans nommer Scheurer, avertir son mari, lui rendre ainsi force et courage[2]. J’écrivis, le même soir, la lettre convenue. La malheureuse femme éclata en sanglots ; c’était le premier rayon de soleil qui réchauffait, depuis trois ans, ce pauvre cœur.
Le lendemain, Scheurer eut une nouvelle conférence avec Leblois. Celui-ci se flattait d’avoir trouvé un moyen de tout concilier : saisir le garde des Sceaux d’une demande en annulation, en raison de l’illégale communication faite aux juges[3]. Scheurer objecta que
- ↑ Dans cette même lettre, Scheurer me raconte que Ranc, le 19 juillet, entretint Sorel, l’historien, secrétaire général du Sénat, de la conviction de son ami au sujet de Dreyfus : « Pour qu’un homme comme Scheurer, reprit Sorel, emploie une formule pareille, il faut que ce soit grave. » Quelques jours plus tard, Sorel en parla à Monod.
- ↑ Mémoires de Scheurer.
- ↑ Procès Zola, I, 93, Leblois.