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SCHEURER-KESTNER

La lettre est datée du 31 mai, timbrée, à la poste, du 3 juin ; donc elle n’a pas été écrite par Henry dans une minute de colère, mais mûrement délibérée avec Gonse et Boisdeffre[1]. Jamais subordonné n’aurait osé écrire pareille lettre à un supérieur en grade, à son ancien chef, sans se savoir soutenu. Par l’exemple de Dreyfus, Picquart sait comment, d’un innocent, on fait un coupable. C’est lui-même (croit-il) qui a porté aux juges du Juif le dossier secret ; un dossier secret (Henry est bien bon encore de l’en avertir) est déjà préparé contre lui-même ; et, depuis qu’il a vu celui de Dreyfus, il sait ce que valent « les preuves matérielles » de la section de statistique[2].

Il réfléchit trois jours, bouleversé.

La lettre lui était parvenue, à Gabès, le 7 juin ; il répondit seulement le 10, et brièvement, sans formule d’aucune sorte :

Reçu lettre du 31 mai. Je proteste de la manière la plus formelle contre les insinuations qu’elle contient et la manière dont les faits y sont exposés.

Il se fût mis dans la posture d’un coupable, s’il eût gardé le silence.

S’inquiète-t-il a tort ? On va voir se réaliser l’une après l’autre les menaces d’Henry. Ce plan de campagne sera méthodiquement suivi. Ce papier, c’est l’exact résumé des futurs réquisitoires. Tous les mensonges, tous les faux témoignages sont prêts.

Il a obéi à tous les ordres, s’est résigné, cherche à

  1. Procès Zola, I, 349 ; Instr. Fabre, 80, 147 ; Cass., I, 195 ; Rennes, I, 459, Picquart.
  2. Procès Zola, I, 290 ; Instr. Fabre, 81, 147 ; Cass., I, 196 ; Rennes, I, 459, Picquart.