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SCHEURER-KESTNER


mensonges ordinaires, que les chefs de l’armée et les pouvoirs publics résisteraient. Mais, quand Scheurer aura parlé, qui, parmi ceux qui le connaissent, mettra sa parole en doute ? Il ne compte dans tous les camps que des amis. Alsacien, patriote, il a l’oreille de Billot, des généraux les plus influents. Aucune calomnie, depuis près de trente ans qu’il siège dans les assemblées, ne l’a atteint. Il est intact. Il n’a rien demandé à la brigue ; une fortune constante l’a porté aux plus hautes situations. Que le président du Sénat, Loubet, soit rappelé aux affaires, il héritera de lui. Que la présidence de la République devienne vacante, l’ancien député du Haut-Rhin y peut aspirer.

Ainsi, tout ce que nous pouvions avoir de puissance persuasive, Ranc et moi, nous l’employions à le convaincre. Mais il résistait ; s’il était plus troublé qu’il ne nous en faisait l’aveu, il refusait de se contenter de preuves morales pour se faire une opinion ; habitué aux procédés scientifiques, il exigeait d’autres démonstrations, plus positives, qu’il nous était impossible de lui fournir.

Ailleurs encore, chez des amis alsaciens, Blech (de Sainte-Marie-aux-Mines), Lalance, on l’entretint de Dreyfus, des doutes qui étaient venus aux meilleurs, aux plus avisés. Une fatalité semblait le ramener au tragique problème, lui imposer l’âpre mission de le résoudre.

Quoi ! dans l’automne de sa vie, laborieuse, mais paisible, au seuil de la vieillesse, il entreprendrait une telle tâche ! Il s’en défendit longtemps, lutta ; puis, tout à la fois angoissé et piqué au jeu, il voulut savoir, sortir du doute[1].

  1. Instr. Fabre, 112, Scheurer-Kestner.