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SCHEURER-KESTNER

Esterhazy avait fait valoir à Grenier, fils d’un général, le souvenir qu’il avait gardé de ce brave soldat, ses propres faits de guerre et ses notes brillantes. À Jules Roche, qui n’était qu’un civil, il déclara « sur l’honneur » qu’il n’avait point de dettes et que sa vie n’était point d’un débauché : il a, sans doute, une amie qui, « moyennant une modeste rétribution, veut bien de temps à autre dénouer sa ceinture » ; c’est que les médecins lui ont fait, dans l’intérêt de la santé de sa femme malade et nerveuse, certaines recommandations ; cependant, « il est un homme[1] ».

Grenier, bien que les propos d’Esterhazy contre l’armée l’eussent plus d’une fois inquiété[2], et Jules Roche, parce que le fait, pour un officier, d’avoir une maîtresse ne lui semblait pas un scandale inattendu et sans précédent, firent, successivement, une dernière démarche auprès de Billot. Celui-ci, au premier mot que lui dit d’abord Grenier, entra dans une violente colère et, jetant en l’air les dossiers qu’il avait sur sa table, bousculant les meubles : « Vous vous êtes donc tous entendus, cria-t-il, pour me faire rouler par cette canaille, par ce gredin, par ce bandit[3] ! » Puis, lorsqu’il reçut Jules Roche et que le député lui objecta le peu de valeur des raisons invoquées contre son client, Billot, comme s’il eût voulu se décharger d’un poids, montra un dossier qu’il avait près de lui et laissa deviner la vraie raison qui lui dictait son refus : « C’était la plus grave de toutes les suspicions qui pût frapper un Français[4]. »

  1. Cass., I, 706, 708, lettre à Jules Roche.
  2. Ibid., 712, Grenier.
  3. Ibid., 714, Grenier.
  4. Ibid., 697 ; Rennes, II, 249, Jules Roche. — Ces entrevues eurent lieu vers le 15 février 1897.