Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/483

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
473
SCHEURER-KESTNER


manda à rentrer franchement dans la troupe[1]. Billot s’y refusa : c’eût été convenir que Picquart était frappé, éloigné, pour avoir commis quelque faute. Gonse équivoqua : d’une part, « les intentions du ministre sont toujours les mêmes au sujet d’une mission qui est de toute confiance » ; d’autre part, « sa mission une fois terminée, Picquart n’aura qu’à se consacrer complètement au service de troupe ». Il ajouta, non sans ironie : « En dehors de la satisfaction que vous aurez à servir dans un régiment d’Afrique, vous êtes certain de travailler pour votre avenir, car vous savez que les campagnes font toujours bien sur les notes d’un officier[2]. »

IV

Tant d’hypocrisie et d’astuce fit souffrir Picquart, non seulement pour lui, mais pour cette armée, livrée à de tels chefs. Pourtant, il restait dans le rang, pris entre deux craintes : celle de briser sa carrière par une protestation qui serait tardive et vaine ; celle de se salir à ses propres yeux par un silence qui, à la longue, deviendrait de la complicité.

Désabusé, il voyait toute la triste complexité de son cas. Des hauteurs où le destin propice l’avait élevé, quand il avait découvert l’erreur judiciaire, il a glissé peu à peu, sur une pente rapide ; ses chefs l’ont joué, soldat discipliné et parfois candide ; il s’en rend compte. C’est l’évidence que ces ruses, cette peur qu’on a de lui, n’ajoutent pas seulement au crime : elles en sont l’aveu.

  1. 16 janvier 1897. (Cass., I, 191 ; II, 165, Picquart.)
  2. 25 janvier.