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HENRY


tournant critique du drame, il jette la terreur dans l’âme des chefs par quelque divulgation, ou par la menace d’un scandale. Il y a deux ans, il a révélé le nom de Dreyfus ; le mois passé, ce fut le crime de Mercier ; aujourd’hui, c’est le nom d’Esterhazy et celui de Weil.

Il n’est pas douteux qu’une lettre semblable a été adressée à Boisdeffre, d’où sa colère contre « ces deux fameuses crapules ».

XII

On était à quatre jours de l’interpellation. Henry en faisait un épouvantail, de jour en jour plus redoutable.

L’inquiétude de Billot était sincère ; celle de Boisdeffre et de Gonse ne fut pas feinte. Ils trompaient le ministre et se laissaient tromper par Henry.

Celui-ci continuait son jeu. Bien qu’à regret, il est forcé de redire à Gonse que les renseignements de Guénée l’obligent à accuser Picquart de tant d’alarmantes indiscrétions. L’article de l’Éclair, que Picquart a attribué aux Dreyfus, Henry l’attribue à Picquart. La publication du bordereau dans le Matin, que Picquart croit venir d’un ami d’Esterhazy, « de quelqu’un de l’État-Major qui le veut avertir[1] », Henry l’attribue à Picquart. Comme Picquart a chargé le commissaire Tomps de faire une enquête à ce sujet, Henry insinue à l’agent que ce pourrait bien être Picquart lui-même qui a fait le coup et il l’engage à chercher dans cette voie[2]. Et, nécessairement, la lettre anonyme qu’a

  1. Procès Zola, I, 287 ; Instr. Fabre, 84, Picquart, — Ce fut également l’inexacte hypothèse de Mathieu Dreyfus.
  2. Cass., I, 766 ; Rennes, III, 303, 364, 370, Tomps.