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HENRY


cieuse et pleine de péril. Et, sans tarder, il en avertit Henry.

Ainsi, à peine conjuré, le danger reparaît, et il en sera ainsi tant que Picquart n’aura pas vidé les lieux. Aujourd’hui, il a conté ses doutes à Gonse ; demain peut-être, enhardi, il les répétera à Billot, se fera montrer la pièce, découvrira la fourberie.

Le faux a produit son effet, puisque Billot marche. Mais à quoi s’attarde Boisdeffre ?

Henry, d’un mot, d’un nom dans une lettre anonyme, va faire courir, se précipiter, voler ce grand chef indolent et majestueux.

Le lendemain, 13, au matin, Picquart, dans la cour du ministère, rencontra Boisdeffre, la figure toute décomposée[1] : « Eh bien, lieutenant-colonel Picquart, lui dit-il, ce sont de fameuses crapules, votre Weil et votre Esterhazy, et ce serait le moment de les prendre la main dans le sac ! » Et, sans attendre de réponse, sans autre explication, il s’éloigna.

Weil, le même jour[2], avait, en toute hâte, mandé Esterhazy qui accourut. Il lui montra un billet anonyme, d’une écriture contrefaite[3], qui lui était venu par la poste[4], et qui était ainsi conçu : « Un ami vous pré-

  1. Cass., I, 170, Picquart.
  2. Ibid., 171, Picquart.
  3. Ibid., 309 : « N’aviez-vous pas reconnu, peut-être, dans cette lettre, des traits de l’écriture d’Esterhazy, qui, en ce moment, aurait pu vouloir vous solidariser avec lui ? — Weil : Non. C’est une écriture complètement contrefaite. » — Je possède une lettre anonyme d’Esterhazy où il a essayé de contrefaire son écriture, mais où le tempérament le trahit très vite. Cette lettre, sur une question militaire, était destinée au Figaro : il ne l’envoya pas, la garda chez lui, à Dommartin. — Dans l’occasion, le concours de Guénée ou de Lemercier-Picard était indiqué.
  4. Cass., I, 309, Weil : « La lettre, si je m’en souviens, avait été mise à la poste rue Danton. »